Loi Climat & Résilience : Quelles conséquences en matière d’aménagement commercial ?

Enfin promulguée !

La loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a été publiée au journal officiel ce 24 août 2021.

Se félicitant de la promulgation de la loi, Barbara Pompili indique « Nous y sommes ! Après deux années de travail intense, la transformation écologique de notre société va s’accélérer grâce à la loi Climat & Résilience. Riche de près de 300 articles, c’est un texte complet et ambitieux qui ancre durablement l’écologie dans notre modèle de développement. (…) »

Issu de la Convention citoyenne pour le climat lancée par Emmanuel Macron en avril 2019 à la suite du Grand débat national, le projet de loi n°3875 a été présenté en Conseil des ministres le 10 février 2021.

Le projet de loi est adopté par l’Assemblée Nationale le 4 mai 2021.

Il est ensuite modifié et adopté par le Sénat le 29 juin 2021.

Contre toute attente et après de vifs débats, députés et sénateurs ont finalement réussi à s’entendre dans le cadre de la commission mixte paritaire et les travaux de ladite commission ont ainsi abouti à un texte comportant 305 articles contre 69 dans le projet de loi déposé.

Le 20 juillet 2021, le Parlement a adopté le projet de loi Climat et Résilience avec 233 voix en faveur et 35 voix contre le projet.

Saisi par 79 députés, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 13 août 2021[1] en validant en grande partie le projet de loi.

Forte de ses 305 articles, la loi s’articule en huit titres et rappelle dans son tout premier article (Titre I), l’engagement de l’Etat à respecter l’objectif européen de baisse d’au moins 55% des émissions des gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990 :

  • Titre I : Atteindre les objectifs de l’accord de Paris et du Pacte Vert pour l’Europe (article 1er)
  • Titre II : Consommer (Articles 2 à 29)
  • Titre III : Produire et travailler (Articles 30 à 102)
  • Titre IV : Se déplacer (Articles 103 à 147)
  • Titre V : Se loger (Articles 148 à 251)
  • Titre VI : Se Nourrir (Articles 252 à 278)
  • Titre VII : Renforcer la protection judiciaire de l’environnement (articles 279 à 297)
  • Titre VIII : Dispositions relatives à l’évaluation climatique et environnementale (Articles 298 à 305)

Une centaine de décrets est annoncée.

Elle comporte, notamment, un titre V intitulé « Se Loger » dont les chapitres III et IV ont trait à la « lutte contre l’artificialisation des sols ».

L’instruction du gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’Etat en faveur d’une gestion économe de l’espace appelait déjà au renforcement de la mobilisation de l’élu local pour porter les enjeux de lutte contre l’artificialisation des sols et à la mise en place du principe « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) inscrit dans le plan biodiversité présenté à l’été 2018.

La loi pose le principe que le rythme d’artificialisation devra être divisé par deux d’ici 2030 et le « zéro artificialisation nette » atteint d’ici 2050 :

« Afin d’atteindre l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, le rythme de l’artificialisation des sols dans les dix années suivant la promulgation de la présente loi doit être tel que, sur cette période, la consommation totale d’espace observée à l’échelle nationale soit inférieure à la moitié de celle observée sur les dix années précédant cette date. Ces objectifs sont appliqués de manière différenciée et territorialisée, dans les conditions fixées par la loi. »[2]

Elle inscrit expressément cet objectif à l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme par l’ajout sous l’article L101-2 du code de l’urbanisme d’un 6° bis relatif à « La lutte contre l’artificialisation des sols, avec un objectif d’absence d’artificialisation nette à terme »[3].

Est inséré un nouvel article L 101-2-1 du code de l’urbanisme ainsi rédigé :

« Art. L. 101-2-1. – L’atteinte des objectifs mentionnés au 6° bis de l’article L. 101-2 résulte de l’équilibre entre :

    1. La maîtrise de l’étalement urbain
    2. Le renouvellement urbain
    3. L’optimisation de la densité des espaces urbanisés
    4. La qualité urbaine
    5. La préservation et la restauration de la biodiversité et de la nature en ville
    6. La protection des sols des espaces naturels, agricoles et forestiers
    7. La renaturation des sols artificialisés. »

La notion d’artificialisation est désormais définie juridiquement sous ce même article :

« L’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. »

La notion de friche qui figurait parmi les surfaces artificialisées dans le projet de loi adopté par le Sénat ne figure plus dans la loi publiée.

La loi précise qu’il faut entendre par « friche » au sens du code de l’urbanisme « tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret. »[4]

La « renaturation » est quant à elle définit de la manière suivante :

« La renaturation d’un sol, ou désartificialisation, consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé.[5]

Il est également précisé qu’un décret en Conseil d’Etat « établira notamment une nomenclature des sols artificialisés ainsi que l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d’urbanisme. »

Au sein des titres III et V figurent plusieurs mesures qui concerne directement l’aménagement commercial.

 

Que contient le texte publié en matière d’aménagement commercial ?

A la suite de l’instruction du gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’Etat en faveur d’une gestion économe de l’espace, le Premier Ministre Jean CASTEX rappelait, dans une circulaire datée du 24 aout 2020 sur le rôle des préfets en matière d’aménagement commercial, que « la lutte contre l’artificialisation des sols est en effet un des objectifs assignés à l’aménagement commercial : les projets, pour être autorisés, ne doivent pas compromettre cet impératif ». Il leur est « demandé de faire usage des pouvoirs dont ils disposent en la matière pour lutter contre l’artificialisation des sols générée par les équipements commerciaux soumis à autorisation d’exploitation commerciale. »

Aussi la loi prévoit-elle en son article 215 un principe général d’interdiction de toute nouvelle autorisation d’exploitation commerciale portant sur un projet qui engendrerait une artificialisation des sols.

Cette interdiction (1) comporte toutefois certaines dérogations (2) assujetties à une procédure pour le moins floue (3).

La loi élargit la faculté d’auto-saisine prévue à l’article L 752-4 du code de commerce (4).

La loi renforce également les obligations en matière de performances énergétiques et environnementales des bâtiments commerciaux. (5)

La loi ne soumet finalement pas les entrepôts consacrés au commerce électronique à autorisation d’exploitation commerciale. (6)

 

  • Un principe général d’interdiction de toute nouvelle autorisation d’exploitation commerciale générant une artificialisation du sol

La loi fixe un principe général d’interdiction de toute nouvelle autorisation d’exploitation commerciale portant sur un projet (création ou extension) qui entraînerait une artificialisation des sols au sens du 9ème alinéa de l’article 101-2-1 du code de l’urbanisme, c’est – à- dire qui « engendrerait une altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. » [6]

A contrario, tout projet d’aménagement commercial qui ne génère pas d’artificialisation est autorisée.

La loi précise qu’est considérée comme « artificialisée », « une surface dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d’un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites » [7]

Est considérée en revanche comme « Non artificialisée » : « une surface soit naturelle, nue ou couverte d’eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisée à usage de cultures ».[8]

Plusieurs décrets doivent intervenir afin d’établir une nomenclature des sols artificialisés et précisant les modalités d’application du présent article ainsi que les projets considérés comme engendrant une artificialisation des sols du V de l’article L752-6 du code de commerce.

 

  • Une dérogation possible

Répondant à certains critères :

La loi prévoit néanmoins une procédure dérogatoire si le pétitionnaire démontre, à l’appui de l’analyse d’impact mentionnée au III de l’article L752-6 du code de commerce que son projet obligatoirement :

  • s’insère en continuité avec les espaces urbanisés dans un secteur au type d’urbanisation adéquat,
  • répond aux besoins du territoire,
  • et qu’il obéit à l’un des 4 critères suivants :
    • L’insertion du projet dans le secteur d’intervention d’une opération de revitalisation de territoire (ORT) ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV)
    • L’insertion du projet dans une opération d’aménagement au sein d’un espace déjà urbanisé, afin de favoriser notamment la mixité fonctionnelle du secteur concerné
    • La compensation par la transformation d’un sol artificialisé en sol non artificialisé, au sens de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme ;
    • L’insertion au sein d’un secteur d’implantation périphérique ou d’une centralité urbaine identifiés dans le document d’orientation et d’objectifs (DOO) du schéma de cohérence territoriale (SCOT) entré en vigueur avant la publication de la présente loi (soit avant le 24 aout 2021) ou au sein d’une zone d’activité commerciale délimitée dans le règlement du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) entré en vigueur avant la publication de la même loi

Le projet est donc soumis à 3 conditions cumulatives nécessaires :

  • une insertion en continuité de l’urbanisation
  • dans un secteur au type d’urbanisation adéquate
  • et répondant aux besoins du territoire

Auxquelles s’ajoutent l’un des quatre critères alternatifs précités :

  • L’insertion du projet dans le secteur d’intervention d’une ORT ou dans un quartier prioritaire (QPV)
  • L’insertion du projet dans une opération d’aménagement au sein d’un espace déjà urbanisé,
  • La compensation par la transformation d’un sol artificialisé en sol non artificialisé,
  • L’insertion au sein d’un secteur d’implantation périphérique ou d’une centralité urbaine identifiés dans le DOO du SCOT entré en vigueur avant la publication de la présente loi, soit avant le 24 aout 2021 ou au sein d’une zone d’activité commerciale délimitée dans le règlement du PLUi entré en vigueur avant la publication de la présente loi, soit avant le 24 aout 2021

Parmi ces critères, d’ores et déjà le terme « type d’urbanisation adéquate » interroge. Qu’a entendu prendre en compte le législateur ? le centre-ville, une zone d’activités économique, industrielle ou artisanales ? la réalité physique des lieux et/ou la possibilité juridique d’implanter tel projet dans tel secteur au regard des règles d’urbanisme applicables ?

Il a en de même s’agissant de la réponse aux besoins du territoire ? s’agit-il des besoins démographiques, économiques, de la nécessité de renforcer l’attractivité du territoire, de moderniser les équipements commerciaux ?

 

Réservée à certains projets seulement :

Certains projets seulement pourront bénéficier de cette dérogation.

Il s’agit des projets ayant pour objet :

 

  • la création d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial d’une surface de vente inférieure à 10 000 m²,
  • l’extension d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial d’une surface de vente inférieure à 10 000 m² après réalisation du projet,
  • L’extension de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 10 000 m² ou devant le dépasser par la réalisation du projet, dans la limite d’une seule extension par magasin ou ensemble commercial et sous réserve que l’extension de la surface de vente soit inférieure à 1 000 m².

 

3-Et selon une procédure encore floue

 

L’article 215 de la loi précise que pour les projets d’une surface de vente supérieure à 3000m² et inférieure à 10 000m², la dérogation n’est accordée qu’après avis conforme du représentant de l’Etat.

La loi ne renseigne toutefois pas sur l’articulation de la procédure entre l’obtention de la dérogation, le dépôt de la demande et la séance de la CDAC devant statuer sur le projet. La dérogation doit-elle être obtenue antérieurement à l’instar de la dérogation prévue à l’article L142-5 du code de l’urbanisme en l’absence de SCOT applicable ? le préfet se prononce-t-il lors de la séance de la CDAC ? …

Un décret viendra préciser les modalités du présent article.

 

4-Elargissement de la faculté d’auto-saisine pour l’ensemble des communes (L752-4)

La loi complète la faculté d’auto-saisine en élargissant à toute les communes (et non plus aux seules communes de moins de 20.000 habitants) la faculté pour l’assemblée délibérante de soumettre à l’avis de la CDAC un projet d’une surface de vente comprise entre 300 et 1000m² dès lors qu’il engendre une artificialisation du sol (L752-4)[9]

 

5-Le renforcement de la performance énergétique et environnementale des bâtiments commerciaux (toitures, parc de stationnement)

 

  • La loi impose que tout projet de construction d’un bâtiment commercial créant plus de 500m² d’emprise au sol, de projet d’extension de la même surface ou de rénovation lourde de bâtiments ou parties de bâtiment intègre :
  • soit un procédé de production d’énergies renouvelables,
  • soit un système de végétalisation, garantissant un haut degré d’efficacité thermique et d’isolation et favorisant la préservation et la reconquête de la biodiversité (article L171-4 du CCH)
  • et, sur les aires de stationnement associées lorsqu’elles sont prévues par le projet, des revêtements de surface, des aménagements hydrauliques ou des dispositifs végétalisés favorisant la perméabilité et l’infiltration des eaux pluviales ou leur évaporation et préservant les fonctions écologiques des sols.[10]

Ces obligations seront réalisées en toiture du bâtiment ou sur les ombrières surplombant les aires de stationnement, sur une surface au moins égale à 30 % de la toiture du bâtiment construit ou rénové de manière lourde et des ombrières créées.

Ces dispositions entrent en vigueur le 1er juillet 2023.

Seules des contraintes techniques, de sécurité, architecturales ou patrimoniales ou des conditions économiquement inacceptables permettront d’être exonéré de cette obligation (un décret précisera les conditions d’exonération).

  • La loi prévoit en outre que les parcs de stationnement de plus de 500m² associés aux bâtiments ou parties de bâtiments concernés par l’article L171-4 précité ou les nouveaux parcs de stationnement extérieurs ouverts au public de plus de 500 m² doivent intégrer sur au moins la moitié de leur surface des revêtements de surface, des aménagements hydrauliques ou des dispositifs végétalisés favorisant la perméabilité et l’infiltration des eaux pluviales ou leur évaporation.

Ils doivent également intégrer des dispositifs végétalisés ou des ombrières concourant à l’ombrage desdits parcs sur au moins la moitié de leur surface, dès lors que l’un ou l’autre de ces dispositifs n’est pas incompatible avec la nature du projet ou du secteur d’implantation et ne porte pas atteinte à la préservation du patrimoine architectural ou paysager.

Si lesdits parcs comportent des ombrières, celles-ci intègrent un procédé de production d’énergies renouvelables sur la totalité de leur surface.

Seules des contraintes techniques, de sécurité, architecturales ou patrimoniales ou des conditions économiquement inacceptables permettront de s’affranchir de cette obligation (un décret précisera les conditions d’exonération).

Ces dispositions s’appliquent aux demandes d’autorisation de construction ou d’aménagement d’urbanisme déposées à compter du 1er juillet 2023.[11]

 

6-L’absence de soumission des entrepôts à la législation relative à l’urbanisme commercial

La soumission des entrepôts consacrés au commerce électronique au régime de l’autorisation d’exploitation commerciale revient comme un serpent de mer à chaque modification et réforme de l’urbanisme commercial.

De nombreux amendements ont été déposés tant devant l’Assemblée nationale que le Sénat afin de les soumettre.

Les sénateurs examinant ledit projet de loi Climat & Résilience ont voté, le 29 juin 2021, la soumission des entrepôts du e-commerce, ou plus précisément, « des locaux destinés à l’entreposage en vue de la livraison à toute personne physique de biens commandés par voie télématique » d’une surface de plancher supérieure 5000m² au régime de l’autorisation d’exploitation commerciale.[12]

La loi adoptée n’assujettira finalement pas la construction de ces entrepôts e-commerce à une autorisation d’exploitation commerciale.

Dans leur saisine du Conseil constitutionnel, les députés requérants reprochaient à l’article 215 adopté de ne pas s’appliquer aux entrepôts des entreprises de commerce en ligne, quand bien même leur implantation ou leur extension engendrerait une artificialisation des sols de sorte que, selon eux, il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre ces entreprises et celles qui exercent une activité de commerce physique, en méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

Le Conseil constitutionnel n’est pas de cet avis et précise que :

« 10. Les dispositions contestées se limitent à introduire une nouvelle condition au régime de l’autorisation d’exploitation commerciale. Or, ce régime a pour objet principal d’assurer une répartition des surfaces commerciales favorisant un meilleur aménagement du territoire. Il résulte de l’article L. 752-1 du code de commerce qu’il ne s’applique pas aux entrepôts.

  1. Dès lors, les dispositions contestées ne créent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les entreprises de commerce en ligne et celles qui exercent une activité de commerce au détail. 
  1. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté. 
  1. Par conséquent, le premier alinéa du paragraphe V de l’article L. 752-6 du code de commerce, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution. »[13]

 

***

 

Ces nouvelles dispositions s’inscrivent dans une succession de réformes intervenues ces dernières années[14] qui ont profondément modifié l’appréhension de la matière.

La loi Climat & Résilience constitue une nouvelle épreuve que l’ensemble des acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement commercial devront surmonter en mobilisant tout leur talents et ressources intérieurs.

L’aménagement commercial ou le pouvoir de la résilience ?

 

Céline CAMUS

Avocate-associée du Cabinet d’avocats Maudet-Camus

 

 

 

[1] Décision n°2021-825 DC du 13 août 2021

[2] Article 191

[3] Article 192

[4] Article 222 de la loi et nouvel article L111-26 du code de l’urbanisme

[5] Article 192

[6] Ajout d’un V sous l’article L752-6 du code de commerce

[7] Article 192

[8] Article 192

[9] Article 196

[10] Article 101 (création dans le code de la construction et de l’habitation d’un article L171-4)

[11] Article 101 (création dans le  code de l’urbanisme d’un article L111-19-1)

[12] Article 52 bis AAA

[13] Décision n°2021-825 DC du 13 aout 2021

[14] Loi n° 2008-776 du 4 aout 2008 de Modernisation de l’Economie (loi LME); loi n° 2014-336 du 24 mars 2014 pour l’Accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR) ;  loi n° 201-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprise (loi PINEL); loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi ELAN)

 

Collectivités : pas de TVA pour les piscines et les cantines gérées en régie

Par deux arrêts du même jour, le Conseil d’Etat a considéré que l’exploitation en régie d’une cantine et d’une piscine ne sont pas des activités susceptibles d’être assujetties à la TVA.

Pour mémoire, l’article 256 B du Code général des impôts dispose que :

« Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l’activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n’entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence. »

Or, pour le Conseil d’Etat l’exploitation de cantines situées au sein même des établissements scolaires et pour le seul bénéfice de leurs élèves, constitue un moyen pour les élèves de bénéficier dans les meilleures conditions de la prestation d’enseignement rendue par ces établissements.

Il s’agit d’une activité accessoire indispensable étroitement liée à l’enseignement scolaire et ne peut être regardée comme entraînant des distorsions dans les conditions de la concurrence.

« 9. Aux termes de l’article R. 531-52 du code de l’éducation : « Les tarifs de la restauration scolaire fournie aux élèves des écoles maternelles, des écoles élémentaires, des collèges et des lycées de l’enseignement public sont fixés par la collectivité territoriale qui en a la charge. » Aux termes de l’article R. 531-53 du même code : « Les tarifs mentionnés à l’article R. 531-52 ne peuvent, y compris lorsqu’une modulation est appliquée, être supérieurs au coût par usager résultant des charges supportées au titre du service de restauration, après déduction des subventions de toute nature bénéficiant à ce service ». La satisfaction des besoins de restauration des enfants des écoles ne serait susceptible d’être assurée de manière profitable par un opérateur privé, dans des conditions de prix comparables à celles imposées aux cantines scolaires par ces dispositions, qu’à la condition que les recettes issues de l’exploitation soient complétées par une subvention publique. Dans ces conditions, un opérateur privé exerçant cette activité ne saurait être empêché d’entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée qui lui permet, à la différence d’un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d’obtenir le remboursement de l’excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes. Par suite, et sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance qu’elle s’en trouverait elle-même désavantagée, le non-assujettissement d’une commune à la taxe sur la valeur ajoutée à raison d’une activité de fourniture de repas dans les cantines scolaires ne saurait être regardé comme entraînant des distorsions dans les conditions de la concurrence, au sens et pour l’application des dispositions de l’article 256 B du code général des impôts, lues à la lumière de celles de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 qu’elles ont pour objet de transposer. » (CE, 28 mai 2021, n°441739)

Le Conseil d’Etat reprend cette même position pour ce qui concerne l’exploitation d’une piscine en régie :

« 11. Il résulte des dispositions de l’article 256 B du code général des impôts que la France a fait usage de la possibilité, ouverte par le dernier alinéa de l’article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006, de regarder comme des activités effectuées en tant qu’autorités publique les services à caractère sportif rendus par les personnes morales de droit public. Eu égard aux caractéristiques des principaux équipements de la piscine de Castelnaudary, à savoir, ainsi qu’il a été dit, un bassin olympique extérieur de 50 mètres et un bassin couvert de 25 mètres destinés à la natation, son exploitation par la commune revêt la nature d’une prestation de service à caractère sportif.

12. Il résulte par ailleurs de l’instruction que compte tenu de la nécessité de garantir un large accès de l’ensemble de la population locale à ce type d’équipement et de la gratuité accordée aux publics scolaires, les droits d’entrée demandés aux usagers ne peuvent couvrir qu’une faible part du montant des charges inhérentes à son fonctionnement. Par suite, un opérateur privé ne serait pas en mesure de proposer un service de nature à satisfaire le même besoin, sauf à bénéficier de subventions publiques. Dans ces conditions, un opérateur privé exerçant cette activité ne saurait être empêché d’entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée qui lui permet, à la différence d’un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d’obtenir le remboursement de l’excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes. Le non-assujettissement de la commune de Castelnaudary à la taxe sur la valeur ajoutée pour l’exploitation de la piscine dont elle est propriétaire n’est ainsi susceptible de créer de distorsion de concurrence ni avec un opérateur privé autonome, ni avec un organisme public bénéficiant du même régime pour des activités similaires. » (CE, 28 mai 2021, n°442378)

L’étau se resserre donc pour les collectivités qui souhaitent récupérer la TVA pour leurs activités gérées en régie.

Jérôme MAUDET

Avocat associé fondateur du Cabinet d’avocats Maudet-Camus

Collectivités : La consolidation de la police de l’habitat : police partout, habitat indigne nulle part

 

« Il n’est pas d’œuvre humaine qui ne contienne en germe, dans son sein, le principe de sa dissolution ».

Eugène VIOLLET-LE-DUC,

Dictionnaire raisonné de l’architecture française

 

 

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité[1] ». Comme le reconnaît la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen elle-même, lorsqu’elle rencontre la nécessité publique, la propriété privée trouve là ses limites.

En matière de construction et d’habitation, ces dernières se trouvent renforcées à l’issue de l’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier 2021 de l’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations.

Une telle consolidation de l’action publique en matière de lutte contre l’habitat indigne était attendue, et ce d’autant plus que le processus législatif avait démarré dès 2018, préfigurant déjà les contours d’une telle évolution.

En effet, dans un avis formulé par l’Assemblée Nationale et présenté par Monsieur le Député Guillaume VUILLETET, il était déjà prévu de permettre au Gouvernement de procéder par voie d’ordonnance sur ce sujet[2].

L’exigence de procéder par voie d’ordonnance fut ensuite clairement formulée par l’article 198 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (1) : Chapitre III : Lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil (Articles 185 à 200), dite Loi Elan.

Cet article indique les éléments qui devront figurer dans l’ordonnance qui sera prise, à savoir :

« 1° D’harmoniser et de simplifier les polices administratives mentionnées aux articles L. 123-1 à L. 123-4, L. 129-1 à L. 129-7, L. 511-1 à L. 511-7, L. 521-1 à L. 521-4, L. 541-1 à L. 541-6, L. 543-1 et L. 543-2 du code de la construction et de l’habitation et aux articles L. 1311-4, L. 1331-22 à L. 1331-30 et L. 1334-1 à L. 1334-12 du code de la santé publique, et de prendre les mesures de coordination et de mise en cohérence nécessaires pour favoriser la mise en œuvre effective des mesures prescrites par l’autorité administrative ;

2° De répondre plus efficacement à l’urgence, en précisant les pouvoirs dévolus au maire dans le cadre de ses pouvoirs de police générale en matière de visite des logements et de recouvrement des dépenses engagées pour traiter les situations d’urgence, et en articulant cette police générale avec les polices spéciales de lutte contre l’habitat indigne ;

3° De favoriser l’organisation au niveau intercommunal des outils et moyens de lutte contre l’habitat indigne […] »

Conformément à ce qui était prescrit, l’ordonnance du 16 septembre 2020 et le décret du 24 décembre 2020[3] ont permis de simplifier (I), et d’optimiser (II) l’action de lutte contre l’habitat indigne.

 

I. La simplification de la lutte contre l’habitat indigne

 

L’exigence de simplification qui était prévue par la loi Elan s’est notamment trouvée concrétisée de deux façons dans le code de la construction et de l’habitation : d’une part, il a été procédé à une unification des polices (A) ; d’autres part, une répartition claire des compétences a été opérée (B).

 

A. L’unification de la lutte contre l’habitat indigne

    Auparavant dispersées entre le code de la santé publique[4] et le code de la construction et de l’habitation, et au sein même de ce dernier, réparties en diverses parties[5], les dispositions relatives à la lutte contre l’habitat indigne sont regroupées en un seul chapitre.

La simplification de cette nouvelle police de lutte contre l’habitat indigne transparaît à l’article L.511-1 du code de la construction et de l’habitation, selon lequel : « La police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations est exercée dans les conditions fixées par le présent chapitre et précisées par décret en Conseil d’Etat. »

Les différentes polices administratives se trouvent donc regroupées au sein d’une seule police, permettant d’apporter davantage de clarté s’agissant du champ d’application matérielle.

A ce titre, l’article L.511-2 du code de la construction et de l’habitation vient préciser, pour cette nouvelle police, les matières dans lesquelles elle peut intervenir, à savoir :

« 1° Les risques présentés par les murs, bâtiments ou édifices quelconques qui n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité des occupants et des tiers ;

[6] Le fonctionnement défectueux ou le défaut d’entretien des équipements communs d’un immeuble collectif à usage principal d’habitation, lorsqu’il est de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ou à compromettre gravement leurs conditions d’habitation ou d’utilisation ;

3° L’entreposage, dans un local attenant ou compris dans un immeuble collectif à usage principal d’habitation, de matières explosives ou inflammables, lorsqu’il est en infraction avec les règles de sécurité applicables ou de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ;

4° L’insalubrité, telle qu’elle est définie aux articles L. 1331-22 et L. 1331-23 du code de la santé publique. »

L’unité du champ matériel ne fait cependant pas disparaître la nécessaire dualité organique. Cette dernière bénéficie désormais d’une répartition claire de ses compétences et de leur mise en œuvre.

 

B. Une répartition claire des compétences

    Il n’était pas possible pour l’ordonnance du 16 septembre 2020 d’éviter, à travers les nouveaux articles du code de la construction et de l’habitation, la traditionnelle dualité des acteurs locaux que sont le maire et le préfet.

Pour cette raison, l’article L.511-4 du code de la construction et de l’habitation vient préciser la répartition des pouvoirs qui est opérée entre ces deux autorités :

« L’autorité compétente pour exercer les pouvoirs de police est :

1° Le maire dans les cas mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 511-2, sous réserve s’agissant du 3° de la compétence du représentant de l’Etat en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement prévue à l’article L. 512-20 du code de l’environnement ;

2° Le représentant de l’Etat dans le département dans le cas mentionné au 4° du même article. »

Au titre de la mise en œuvre de leurs compétences, il est important de noter que ces deux autorités peuvent se voir signaler des faits entrant dans leur champ de compétence par toute personne qui en aurait connaissance, ainsi que le prévoit l’article L.511-6 du code précité.

Par ailleurs, ces deux autorités, pour mettre en œuvre leurs compétences peuvent, en application de l’article L.511-7 du code de la construction et de l’habitation, faire procéder à toutes visites qui leurs paraissent utiles afin d’évaluer les risques qui se trouvent mentionnés par l’article L.511-2 du code de la construction et de l’habitation.

Ce pouvoir trouve toutefois deux limites. Tout d’abord, lorsque de telles visites se déroulent sur des lieux à usage totale ou partielle d’habitation, elles ne peuvent être effectuées qu’entre 6h et 21h. Par ailleurs, si l’occupant s’oppose à une telle visite ou si la personne ayant qualité pour autoriser l’accès aux lieux ne peut pas être atteinte, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation du juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés ces lieux.

Ces deux autorités voient également leur décision être éclairée à la lumière d’un constat établit par un rapport.

Concrètement, pour la situation d’insalubrité, il s’agit d’un rapport du directeur général de l’agence régional de santé ou du directeur du service communal d’hygiène et de santé (Art. L.511-8 CCH). On se trouve ici dans une situation de compétence liée, dans la mesure où ce rapport est un préalable obligatoire à l’arrêté d’insalubrité.

S’agissant de l’arrêté de mise en sécurité qui est pris par le maire, il est pris sur la base d’un rapport établi par les services municipaux ou intercommunaux compétents. Le maire peut également demander à la juridiction administrative la désignation d’un expert, qui doit se prononcer dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa désignation[7]. (Art. L.511-9 du CCH).

Cela étant, si l’expert conclu à l’existence d’un danger imminent, l’autorité compétente doit suivre une procédure particulière.

En effet, et s’agissant de l’arrêté de mise en sécurité, l’article L.511-9 du CCH précise que « Si le rapport de l’expert conclut à l’existence d’un danger imminent, l’autorité compétente fait application des pouvoirs prévus par la section 3 du présent chapitre. »

En application des pouvoirs prévus par la section 3, l’autorité compétente ordonne par arrêté les mesures indispensables pour faire cesser le danger imminent dans un délai qu’elle fixe, sans procédure contradictoire préalable pour l’arrêté de mise en sécurité. (Art. L.511-19 du CCH).

On doit mentionner et regretter ici, eu égard à l’effort de clarification entrepris, un manque de précision relatif à la rédaction de l’article L.511-19 du code de la construction et de l’habitation ainsi formulé dans son premier alinéa :

« En cas de danger imminent, manifeste ou constaté par le rapport mentionné à l’article L. 511-8 ou par l’expert désigné en application de l’article L. 511-9, l’autorité compétente ordonne par arrêté et sans procédure contradictoire préalable les mesures indispensables pour faire cesser ce danger dans un délai qu’elle fixe. »

Le premier manque de précision concerne l’utilisation même de la procédure prévue par cet article. En effet, ce dernier permet d’agir sans procédure contradictoire préalable et ce même en cas de danger simplement constaté. Or un danger constaté, mais qui n’a pas un caractère imminent ou manifeste ne fait pas nécessairement apparaître un caractère d’urgence, de tel sorte que les acteurs locaux peuvent hésiter sur la démarche à suivre en matière de contradictoire.

Il est donc nécessaire de faire œuvre de précaution et de recourir au contradictoire alors même que cela n’est pas forcément l’esprit du texte.

Le second manque de précision de cet article concerne le rapport qui est visé. Le rapport mentionné à l’article L.511-8[8] du CCH peut être le rapport de du directeur de l’Agence Régionale de Santé, comme le rapport des services municipaux ou intercommunaux.

A la lecture du second aliéna de l’article L.511-19 du CCH, qui évoque une procédure de démolition, on peut raisonnablement considérer qu’il est question du rapport des services municipaux et intercommunaux. Un plus grand degré de précision aurait toutefois permis d’éviter de telles suppositions.

En revanche, et de façon ordinaire, l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité pris en application de l’article L.511-10[9] du CCH se fait à l’issue d’une procédure contradictoire[10].

La possibilité de déroger à une telle obligation comme le prévoit le code de la construction et de l’habitation, participe, d’une certaine façon, à cette volonté d’optimiser la lutte contre l’habitat indigne.

 

II. L’optimisation de la lutte contre l’habitat indigne

L’optimisation correspond à l’action d’obtenir le meilleur. En cela, les nouvelles dispositions issues de l’ordonnance du 16 septembre 2020 sont censées permettre aux autorités compétences d’obtenir le meilleur résultat, eu égard aux prescriptions qui devront être adoptées. En effet, ces nouvelles dispositions permettent un renforcement des moyens d’action (A), et prévoit une forme de garantie de l’effectivité de ces dernières (B).

 

A. Un renforcement des moyens d’action

    Les articles L.511-11 et suivants du code de la construction et de l’habitation offrent aux autorités compétentes un large choix d’actions qu’elles peuvent utilement mettre en œuvre en fonction de la gravité des situations constatées.

L’article L.511-11[11] du code précité prévoit notamment ainsi que « L’autorité compétente prescrit, par l’adoption d’un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, la réalisation, dans le délai qu’elle fixe, de celles des mesures suivantes nécessitées par les circonstances :

1° La réparation ou toute autre mesure propre à remédier à la situation y compris, le cas échéant, pour préserver la solidité ou la salubrité des bâtiments contigus ;

2° La démolition de tout ou partie de l’immeuble ou de l’installation ;

3° La cessation de la mise à disposition du local ou de l’installation à des fins d’habitation ;

4° L’interdiction d’habiter, d’utiliser, ou d’accéder aux lieux, à titre temporaire ou définitif. »

Par ailleurs, l’article L.511-11 du code de la construction et de l’habitation prévoit que l’arrêté doit mentionner qu’à l’expiration du délai fixé, la personne qui n’a pas exécuté les travaux[12] est redevable du paiement d’une astreinte par jour de retard. Le même article prévoit également que les travaux peuvent être exécutés d’office aux frais de la personne visée par l’arrêté[13].

Il est important de relever que la personne visée par l’arrêté, pour n’être pas tenu d’exécuter les mesures prescrites, peut notamment se libérer de son obligation par la conclusion d’un bail à réhabilitation. Elle peut également le faire si elle conclut un bail emphytéotique ou contre un contrat de vente moyennant paiement d’une rente viagère, « à charge pour les preneurs ou débirentiers d’exécuter les travaux prescrits et d’assurer, le cas échéant, l’hébergement des occupants ».

Si la personne exécute les travaux conformément à ce qui est prescrit, elle peut alors obtenir la mainlevée de l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, en application de l’article L.511-14 du code de la construction et de l’habitation.

De tels moyens d’action trouvent également la garantie de leur effectivité à travers deux créations de l’ordonnance du 16 septembre 2020 que sont la procédure d’urgence et les dispositions pénales, contribuant ainsi à optimiser les mesures prescrites.

 

B. Une garantie de l’effectivité des moyens d’action

    Pour apporter un peu plus de garanties dans les actions menées par cette nouvelle police de l’habitat, l’ordonnance prévoit une procédure d’urgence propre à permettre que l’action soit menée dans les temps.

En effet, les dispositions des articles L.511-19[14] à L. 511-21 du code de la construction et de l’habitation offrent la possibilité à l’autorité compétente de faire face à toutes les situations, y compris les plus urgentes et ce de manière prompt.

Contrairement à ce qui était prévu par l’ancien article L.511-3 du code de la construction et de l’habitation, le maire n’est donc plus tenu de procéder contradictoirement que ce soit en cas de danger imminent, manifeste ou constaté.

Pour éviter tout risque et si aucune autre mesure ne permet d’écarter le danger, l’autorité compétente peut même aller jusqu’à faire procéder à la démolition complète de l’immeuble. Si une telle décision doit reposer sur un jugement du président du tribunal judiciaire, elle est le fruit d’une procédure accélérée au fond.

Par ailleurs, et de la même façon que pour la procédure ordinaire, si les mesures prescrites ne sont pas exécutées dans les délais, il est possible de les faire exécuter d’office, conformément à l’article L.511-20 du code précité.

Au-delà de cette optimisation temporelle, les nouvelles dispositions ne manquent pas de prévoir des sanctions pénales.

En effet, l’article L.511-22 du code de la construction et de l’habitation envisage des sanctions tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales.

S’agissant des personnes physiques, les nouvelles dispositions prévoient des peines d’emprisonnement et d’amende, mais également la possibilité de confisquer les biens ou encore l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale, de même que l’interdiction d’acheter un bien immobilier à usage d’habitation ou un fonds de commerce.

Les personnes morales quant à elles peuvent se voir également interdire d’acheter ou d’être usufruitier d’un bien immobilier à usage d’habitation ou d’un fonds de commerce d’un établissement recevant du public à usage totale ou partiel d’hébergement. Ces mêmes personnes morales peuvent se voir aussi confisquer certains biens.

La propriété privée, droit inviolable et sacré, ne saurait donc l’emporter sur la nécessité publique de prévenir les risques liés aux habitats indignes. L’action publique se trouve largement fortifiée par les nouvelles dispositions du code de la construction et de l’habitation, telles qu’elles sont issues de l’ordonnance du 16 septembre 2020. Puisse l’habitat indigne s’en trouver diminué.

 

Aurélien DEBRAY

Docteur en droit et élève avocat

 

Jérôme MAUDET

Avocat

 

[1] Article 17, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

[2] Voir Article 58, « Simplifier par ordonnance les procédures de lutte contre l’habitat indigne », Avis fait au nom de la Commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur le Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (n°846), enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mai 2018.

[3] Décret n° 2020-1711 du 24 décembre 2020 relatif à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations.

[4] Art. L.129-1 CSP ; Art. L.1331-22 CSP ; Art. L.1331-23 CSP ; Art. L.1331-24 CSP ; Art. L.1331-25 CSP ; Art. L.1331-26 CSP ; Art. L.1331-26-1 CSP.

[5] Art. L.129-1 CCH ; Art. L.129-4-1 CCH ; Art.L.511-2 CCH ; Art. L.511-3 CCH.

[6] Voir également Art. R.511-1 CCH.

[7] Voir également Art. R.511-2 et R.511-4 CCH.

[8] Voir aussi l’Art. R.511-3 CCH.

[9] Voir également Art. R.511-3 et R.511-5 CCH.

[10] V. Art. R.511-8 CCH.

[11] Voir aussi Art. R.511-4 CCH.

[12] Article R.511-6 du code de la construction et de l’habitation : « Le délai d’exécution des mesures de réparation ou de démolition ne peut être inférieur à un mois à compter de la date de la notification de l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, sauf dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article L. 511-19. »

[13] Voir Art. R.511-9 CCH.

[14] Voir également l’Art. R.511-6 et Art. R.511-8 CCH.

Contentieux administratif : La reproduction littérale de la demande de première instance rend irrecevable la requête d’appel (C.A.A. Nantes, 22 janvier 2021, n°19NT03497)

1. Il ressort des dispositions de l’alinéa 1er de l’article R. 411-1 du code de justice administrative que :

« La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge ».

Réservée initialement à la recevabilité des demandes de première instance, cette disposition est applicable aux requêtes d’appel en application de l’article R. 811-13 du code de justice administrative.

Cet article dispose que :

« Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l’introduction de l’instance devant le juge d’appel suit les règles relatives à l’introduction de l’instance de premier ressort définies au livre IV ».

Par conséquent, la requête d’appel doit certes permettre d’obtenir l’annulation de la décision contestée grâce aux moyens développés en première instance mais aussi démontrer que la motivation retenue par le juge de première instance est erronée.

Autrement dit, la requête d’appel doit bien évidemment contenir les moyens propres à obtenir l’annulation d’une décision défavorable mais également soulever des moyens propres à contester le jugement de première instance lui aussi défavorable.

 

2. A cette fin, la critique systématique du jugement de première instance est indispensable.

Les mentions succinctes au jugement de première instance sont insuffisantes.

En ce sens, le simple rappel, à l’issue de la présentation des faits, de l’existence du jugement défavorable et la demande tendant, dans le dispositif, à son annulation ne permettent pas de se conformer aux dispositions combinées de l’article R. 411-1 et R. 811-13 du code de justice administrative.

C’est ce que la Cour administrative d’appel de Nantes a rappelé aux termes d’un arrêt en date du 22 janvier 2021.

Aux visas des dispositions précitées, il a été jugé que :

« En vertu de ces dispositions, la requête doit, à peine d’irrecevabilité, contenir l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge.

    1. La requête dont Mme A… a saisi la cour se borne à reproduire intégralement et exclusivement l’exposé des faits et moyens figurant dans son mémoire de première instance, dont elle ne diffère que par son intitulé, par une référence au jugement attaqué à la fin de l’exposé des faits et par la présentation à la cour de conclusions tendant à l’annulation de ce jugement. Il s’ensuit que la fin de non-recevoir opposée à la requête par l’EHPAD de Carrouges et tirée de ce que cette requête ne satisfait pas aux exigences de motivation résultant des dispositions précitées, doit être accueillie» (C.A.A. Nantes, 22 janvier 2021, n°19NT03497).

Aux termes de cet arrêt, ce n’est pas la reprise littérale, en appel, de l’argumentation développée dans la demande de première instance qui semble être sanctionnée par l’irrecevabilité de la requête mais l’absence totale de critique du jugement contesté qui, à travers sa motivation, a déjà répondu à chacun des moyens invoqués à l’endroit de la décision attaquée.

Cet arrêt viendrait alors confirmer une pratique pourtant établie – mais qui doit parfois être rappelée – selon laquelle chaque appelant doit contester la motivation retenue par le juge de première instance qui a rejeté les moyens invoqués devant lui.

 

Louis-Marie Le Rouzic

Avocat au Barreau de Nantes

 

Droit de propriété : la servitude d’écoulement des eaux usées est imprescriptible

Par un arrêt du 17 juin 2021 la Cour de cassation est venue rappeler que les servitudes dont l’exercice exige le fait de l’homme sont discontinues et ne peuvent s’acquérir que par titre.

Tel est le cas des servitudes d’écoulement des eaux usées :

« 2. M. [V] fait grief à l’arrêt de rejeter la demande, alors « qu’une servitude d’écoulement des eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, même si elle s’exerce au moyen de canalisations apparentes et permanentes ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 688 et 691 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 688 et 691 du code civil :

3. Il résulte de ces textes que les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées et que, apparentes ou non apparentes, elles ne peuvent s’acquérir que par titre.

4. Pour rejeter la demande formée par M. [C] en suppression des canalisations empiétant sur son fonds, l’arrêt retient que M. et Mme [D] ont acquis une servitude d’écoulement des eaux usées par prescription trentenaire.

5. En statuant ainsi, alors que la servitude d’écoulement des eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, la cour d’appel a violé les textes susvisés. » (Cass. 3e civ., 17 juin 2021, n° 20-19.968.)

Jérôme MAUDET
Avocat

Contentieux administratif : une requête prématurée n’est pas nécessairement irrecevable

« Does’ to happen sooner rather than later. » (Mieux vaut plus tôt que plus tard) disent les anglais.

La liaison du contentieux par l’exercice d’un recours préalable obligatoire est une formalité indispensable bien connue des publicistes.

Par un arrêt du 16 juin 2021, le Conseil d’Etat est venu préciser que la recevabilité du recours contentieux est subordonnée à l’exercice d’un tel recours et non à l’intervention d’une décision de l’administration.

« 3. L’institution d’un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, vise à laisser à l’autorité compétente pour en connaître le soin d’arrêter définitivement la position de l’administration. Pour autant, dès lors que le recours administratif obligatoire a été adressé à l’administration préalablement au dépôt de la demande contentieuse, la circonstance que cette dernière demande ait été présentée de façon prématurée, avant que l’autorité administrative ait statué sur le recours administratif, ne permet pas au juge administratif de la rejeter comme irrecevable si, à la date à laquelle il statue, est intervenue une décision, expresse ou implicite, se prononçant sur le recours administratif. Il appartient alors au juge administratif, statuant après que l’autorité compétente a définitivement arrêté sa position, de regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l’annulation de la décision, née de l’exercice du recours administratif préalable, qui s’y est substituée. » (CE, 16 juin 2021, N° 440064)

Il est donc possible, après avoir exercé un recours préalable obligatoire, de saisir directement la juridiction sans attendre que l’administration se prononce expressément ou tacitement.

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Squats et police municipale : le Conseil constitutionnel censure la loi pour une sécurité globale préservant les libertés

La loi pour une sécurité globale préservant les libertés prévoyait de renforcer les pouvoirs des agents de police municipale et des gardes champêtres ainsi que les sanctions encourues par les squatters.

Par une décision du 20 mai 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré partiellement contraire à la Constitution la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, dont il avait été saisi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs. Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021

 

1. S’agissant de l’article étendant les compétences des agents de police municipale et des gardes champêtres

Cet article prévoyait de confier, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, aux agents de police municipale et gardes champêtres de certaines communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre des attributions de police judiciaire en matière délictuelle.

En substance, il s’agissait selon ces dispositions, de permettre aux agents de police municipale et aux gardes champêtres de constater par procès-verbal :

  • les délits de vente à la sauvette,
  • de conduite sans permis,
  • de conduite dangereuse,
  • de conduite sans assurance,
  • d’entrave à la circulation routière,
  • d’occupation illicite de hall d’immeuble,
  • d’usage illicite de stupéfiants,
  • de violation de domicile portant sur un local appartenant à une personne publique,
  • de destruction ou dégradation grave du bien d’autrui, d’installation en réunion sur un terrain appartenant à une commune
  • de port ou de transport illicite d’armes de catégorie D.

À cette fin, ils pouvaient relever l’identité des auteurs de ces délits, prendre acte de leurs déclarations spontanées, se voir communiquer les informations nécessaires issues du fichier des véhicules assurés et, s’agissant des délits de vente à la sauvette et d’usage de produits stupéfiants commis sur la voie publique, procéder à la saisie des objets ayant servi à la commission de l’infraction ou qui en sont le produit et pour lesquels la peine de confiscation du bien est prévue.

Le Conseil constitutionnel a toutefois rappelé qu’il résulte de l’article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire.

Or, selon lui, cette exigence n’est pas respectée si des pouvoirs généraux d’enquête criminelle ou délictuelle sont confiés à des agents qui, relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition d’officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes.

Comme l’indique le communiqué de presse :

« A cette aune, le Conseil constitutionnel a relevé que, si le procureur de la République se voit adresser sans délai les rapports et procès-verbaux établis par les agents de police municipale et les gardes champêtres, par l’intermédiaire des directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale, le législateur n’a pas assuré un contrôle direct et effectif du procureur de la République sur les directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale. Notamment, contrairement à ce que le code de procédure pénale prévoit pour les officiers de police judiciaire et nonobstant son pouvoir de direction sur les directeurs et chefs de service de police municipale, ne sont pas prévues la possibilité pour le procureur de la République d’adresser des instructions aux directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale, l’obligation pour ces agents de le tenir informé sans délai des infractions dont ils ont connaissance, l’association de l’autorité judiciaire aux enquêtes administratives relatives à leur comportement, ainsi que leur notation par le procureur général. D’autre part, si les directeurs et les chefs de service de police municipale doivent, pour être habilités à exercer leurs missions de police judiciaire, suivre une formation et satisfaire à un examen technique selon des modalités déterminées par décret en Conseil d’État, il n’est pas prévu qu’ils présentent des garanties équivalentes à celles exigées pour avoir la qualité d’officier de police judiciaire. »

Le Conseil constitutionnel en a déduit qu’en confiant des pouvoirs aussi étendus aux agents de police municipale et gardes champêtres, sans les mettre à disposition d’officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes, le législateur a méconnu l’article 66 de la Constitution.

 

2. S’agissant de l’article 2 renforçant les sanctions en cas d’introduction dans le domicile d’autrui

Le paragraphe I de l’article 2 prévoyait quant à lui de modifier l’article 226-4 du code pénal qui punit la violation de domicile afin de porter à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende les peines réprimant le fait de s’introduire dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte et le fait de s’y maintenir après s’y être ainsi introduit.

Selon le Conseil constitutionnel ces dispositions apparues tardivement ont été adoptées en méconnaissance des règles de procédure :

« Introduites en première lecture, les dispositions du paragraphe I de l’article 2 ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles de l’article 1er de la proposition de loi initiale qui, dans le cadre d’une modification des prérogatives des polices municipales et rurales, autorisaient les agents de police municipale et les gardes champêtres à constater certains délits dont celui prévu à l’article 226-4 du code pénal. (…)

Dès lors, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs et sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu du paragraphe I de l’article 2 aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adopté selon une procédure contraire à la Constitution, il lui est donc contraire. »

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Collectivités : domaine public ou pas la mise en fourrière d’un véhicule relève de la compétence du juge judiciaire

Aux termes de l’article L. 325-1 du code de la route :

 » Les véhicules dont la circulation ou le stationnement en infraction aux dispositions du présent code ou aux règlements de police (…) compromettent la sécurité ou le droit à réparation des usagers de la route, la tranquillité ou l’hygiène publique, l’esthétique des sites et des paysages classés, la conservation ou l’utilisation normale des voies ouvertes à la circulation publique et de leurs dépendances, notamment par les véhicules de transport en commun peuvent à la demande et sous la responsabilité du maire ou de l’officier de police judiciaire territorialement compétent, même sans l’accord du propriétaire du véhicule, dans les cas et conditions précisés par le décret prévu aux articles L. 325-3 et L. 325-11, être immobilisés, mis en fourrière, retirés de la circulation et, le cas échéant, aliénés ou livrés à la destruction « .

En vertu de l’article L. 417-1 du même code :

 » Les véhicules laissés en stationnement en un même point de la voie publique ou de ses dépendances pendant une durée excédant sept jours consécutifs peuvent être mis en fourrière « .

Saisi d’une demande tendant à ce que l’Etat soit condamné, sous astreinte, à faire usage de ses pouvoirs de police le juge administratif des référés avait enjoint le Préfet du Haut-Rhin de prendre les mesures appropriées dans un délai de 15 jours à compter de la notification de son ordonnance.

Contrairement à ce qu’avait pu ordonner le juge des référés de première instance, le Conseil d’Etat est venu préciser que la mise en fourrière de véhicules stationnés sur une dépendance du domaine public vise à la mise en oeuvre de pouvoirs de police judiciaire et est donc insusceptible de se rattacher à la compétence du juge administratif.

Le Conseil d’Etat a en effet considéré que :

« 4. Il résulte de ces dispositions qu’une demande tendant à ce que des véhicules illégalement stationnés sur une dépendance du domaine public routier soient enlevés et mis en fourrière, qui vise à la mise en oeuvre de pouvoirs de police judiciaire, est manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative. Par suite, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a méconnu sa compétence en enjoignant au préfet de faire procéder, en exerçant le pouvoir de substitution qu’il tient des dispositions de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales en cas de carence des autorités municipales, au retrait des véhicules stationnant de manière irrégulière sur le parking TIR de Saint-Louis. Il en résulte que l’ordonnance attaquée doit être annulée (…)

6. Ainsi qu’il a été dit au point 4, les litiges relatifs à l’enlèvement et à la mise en fourrière de véhicules illégalement stationnés sur une dépendance du domaine public routier sont relatifs à des opérations de police judiciaire et ressortissent à la compétence du juge judiciaire. Il s’ensuit que la demande présentée par le syndicat des copropriétaires du parking TIR de Saint-Louis devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. » (Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 11/05/2021, 447948).

Jérôme MAUDET

Avocat

Urbanisme : Vendredi 4 juin 2021 Céline CAMUS reviendra sur les éléments marquants du dernier semestre et répondra à vos questions

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Droit de l’environnement : conséquences de l’annulation d’une dérogation espèces protégées pour un ICPE

Quelles conséquences peut entraîner l’annulation d’une dérogation espèces protégées sur l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement lorsque cette dérogation a, en l’espèce, trouvé exécution ?

Commentaire de Maître Gaëlle PAULIC sous CE, 28 avril 2021, n°440734, Ministre de la Transition Ecologique c/ Société M. (Conclusions Olivier FUCHS, rapporteur public).

 

Par une décision en date du 28 avril 2021, le Conseil d’Etat est venu préciser les incidences de cette annulation contentieuse et de l’autorité de la chose jugée qui s’y attache, tant au regard de l’autorité préfectorale, en charge de tirer les conséquences de cette annulation en faisant usage des pouvoirs  qu’elle détient sur le fondement de l’article L 171-7 du code de l’environnement, que de l’exploitant de l’installation classée.

Par deux arrêtés en date des 29 octobre 2015 et 9 mars 2018, le Préfet du Doubs avait autorisé la société M. à exploiter une carrière de roches calcaires sur le territoire de la commune de Semondans.

Pour permettre cette exploitation et eu égard à la présence d’espèces protégées sur site, le préfet de département avait, par un arrêté du 14 novembre 2014, accordé à la société une dérogation à l’interdiction de détruire, altérer, dégrader des sites de reproduction ou des aires de repos concernant les 29 espèces animales protégées identifiées.

La société avait entamé l’exploitation du site dans sa partie Sud et procédé au décapage total du terrain sur près de 4,5 hectares.

Ce premier arrêté avait été annulé par le Tribunal administratif de Besançon par jugement en date du 21 septembre 2017 et avait donné lieu à l’édiction d’un second arrêté pris en date du 26 décembre 2017 et autorisant la dérogation au principe de protection des espèces protégées identifiées.

Une association, L’association des opposants à la carrière de Semondans (ADOCS), avait demandé l’annulation de ce nouvel arrêté et par un jugement n°1801079 en date du 4 juillet 2019, les magistrats administratifs y avaient fait droit en considérant d’une part que l’arrêté était, comme le premier, insuffisamment motivé[1] et d’autre part, que le projet « d’exploitation de la carrière de Semondans, nonobstant la qualité du gisement en question et l’intérêt économique qu’il représente, ne présente pas un caractère exceptionnel, ni indispensable pour l’approvisionnement en matériaux de qualité du pays de Montbéliard. Alors même que l’arrêté en litige aurait intégré des préoccupations environnementales, le projet ne saurait, par conséquent, être regardé comme constituant une raison impérative d’intérêt public majeur permettant de justifier l’atteinte portée par ce projet au maintien dans un état de conservation favorable des populations d’espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle » (cons.7).

En application des dispositions de l’article L.171-7 du code de l’environnement lesquelles disposent, dans leur version en vigueur depuis le 27 juillet 2019, que  » I.-Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l’objet de l’autorisation, de l’enregistrement, de l’agrément, de l’homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d’une opposition à déclaration, l’autorité administrative compétente met l’intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d’un an /

Elle peut, par le même acte ou par un acte distinct, suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l’utilisation des objets et dispositifs ou la poursuite des travaux, opérations, activités ou aménagements jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d’autorisation, d’enregistrement, d’agrément, d’homologation ou de certification, à moins que des motifs d’intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code ne s’y opposent », le Préfet du Doubs avait, par arrêté du 4 octobre 2019, mis en demeure la société de déposer un dossier de demande d’autorisation environnementale ou de cesser définitivement son activité et avait prononcé la suspension immédiate du fonctionnement de la carrière dans l’attente de la régularisation de la situation administrative de l’exploitation.

Sollicitant la suspension de cet arrêté devant le juge des référés du tribunal administratif de Besançon, la société faisait valoir que plus aucune autorisation n’était requise au titre de la législation espèces protégées puisque le terrain, correspondant à la phase 1 de l’exploitation de la carrière, avait été entièrement décapé en exécution des dérogations obtenues et que la mise en demeure de déposer un nouveau dossier d’autorisation était ainsi entachée d’une erreur de droit.

Faisant droit à cette argumentation, le juge des référés a ordonné la suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral du 4 octobre 2019 et le Ministère de la Transition écologique s’est pourvu en cassation contre cette ordonnance.

C’est dans ce contexte contentieux et après deux annulations au fond, des arrêtés de dérogation aux espèces protégées délivrés à la société, que le Conseil d’Etat vient préciser les pouvoirs et compétences de l’autorité administrative lorsque ce n’est pas l’autorisation d’exploiter qui a fait l’objet d’une annulation mais la dérogation au principe de protection des espèces prise sur le fondement de l’article L 411-2 du code de l’environnement entièrement exécutée et que ces deux autorisations juridiques délivrées distinctement doivent être considérées comme une autorisation unique du fait de la réforme introduite en 2017 de l’autorisation environnementale unique[2].

Cette articulation des décisions administratives distinctes devenues, de facto, autorisation unique n’est pas nouvelle et le rapporteur public, sous l’arrêt commenté, de rappeler que le Conseil d’Etat avait déjà considéré que l’autorisation environnementale délivrée, que ce soit sur le fondement des installations classées ou de la loi sur l’Eau, était considérée à compter du 1er mars 2017 et des dispositions transitoires de l’ordonnance du 26 janvier 2017 comme une autorisation environnementale et qu’elle peut, dès lors, être contestée en tant qu’elle n’incorpore pas, à la date à laquelle le juge statue, la dérogation aux espèces protégées si celle-ci était légalement requise[3].

Le cadre juridique étant rappelé, il restait alors à en dérouler les conséquences pour l’administration compétente lorsque celle-ci doit se prononcer à raison de l’annulation contentieuse d’une des procédures embarquées par l’autorisation ICPE ou IOTA devenue autorisation environnementale et que cette dernière, du fait de son incomplétude, ne peut être appliquée.

Suivant l’argumentation de son rapporteur public, le Conseil d’Etat, faisant application des dispositions combinées des articles L. 511-1 et 2, L. 411-2, L.181-1 et suivants et L 171-7 du code de l’environnement, fixe ici le régime applicable en assimilant l’incomplétude de l’autorisation environnementale du fait de l’annulation contentieuse d’une des autorisations nécessaires aux travaux, à une exploitation du site irrégulière du fait de l’absence d’une autorisation environnementale et à la possibilité ainsi, pour l’autorité préfectorale, de faire pleinement usage des mesures et sanctions prévues à l’article L 171-7 du code de l’environnement :

 « 15. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que, lorsque la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement et délivrée en vue de permettre l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, ou la partie de l’autorisation environnementale en tenant lieu, a fait l’objet d’une annulation contentieuse, il appartient au préfet de mettre en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement précité en mettant l’exploitant en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’il détermine et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires pouvant aller jusqu’à la suspension de l’exploitation de l’installation en cause jusqu’à ce qu’il ait statué sur une demande de régularisation. Saisi d’une telle demande, il lui appartient d’y statuer en tenant compte de la situation de droit et de fait applicable à la date à laquelle il se prononce, notamment en tirant les conséquences de la décision juridictionnelle d’annulation et de l’autorité de chose jugée qui s’y attache, le cas échéant en abrogeant l’autorisation d’exploiter ou l’autorisation environnementale en tenant lieu ».

Dans le cas présent et une fois le principe de la régularisation de la situation administrative admis, se posait néanmoins la question de savoir, au moment où l’administration aura à se prononcer sur la régularisation de la situation, si une autorisation à déroger était toujours nécessaire du fait de l’exécution des travaux de défrichement et de décapage d’une partie du site et d’appréhender cette problématique sans, ainsi que le rapporteur public le soulevait,  entériner la politique « du fait régulièrement accompli mais finalement illégal » et effacer ainsi « toute trace de la séquence passée ».

Donnant plein effet utile aux objectifs de protection poursuivis par les directives communautaires Habitat et Oiseaux, le Conseil d’Etat précise tant les compétences du préfet pour sanctionner en tenant compte des atteintes commises à la biodiversité que la nature des obligations pesant sur l’exploitant à raison des travaux exécutés sur la base de la dérogation avant son annulation contentieuse pour un motif de fond.

« 16. Dans l’hypothèse où, en raison des travaux réalisés notamment sur le fondement de la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement avant qu’elle ne soit annulée pour un motif de fond, la situation de fait, telle qu’elle existe au moment où l’autorité administrative statue à nouveau, ne justifie plus la délivrance d’une telle dérogation, il incombe cependant au préfet de rechercher si l’exploitation peut légalement être poursuivie en imposant à l’exploitant, par la voie d’une décision modificative de l’autorisation environnementale si elle existe ou par une nouvelle autorisation environnementale, des prescriptions complémentaires. Ces prescriptions complémentaires comportent nécessairement les mesures de compensation qui étaient prévues par la dérogation annulée, ou des mesures équivalentes, mais également, le cas échéant, des conditions de remise en état supplémentaires tenant compte du caractère illégal des atteintes portées aux espèces protégées, voire l’adaptation des conditions de l’exploitation et notamment sa durée »

Ainsi, l’exécution des travaux ayant portés atteinte à des espèces et habitats protégés et l’annulation contentieuse de la dérogation obtenue mais déclarée illégale pour un motif de fond, n’exemptent pas l’exploitant du respect de la règlementation espèces protégées et de la mise en œuvre de l’ensemble des mesures compensatoires, celles prévues par la dérogation annulée comme celles pouvant être nouvellement imposées par l’autorité préfectorale pour tenir compte « du caractère illégal des atteintes portées aux espèces protégées ».

C’est également une invitation à la prudence pour les porteurs de projets soumis, en l’espèce, à procédure d’ autorisation environnementale et les inciter à évaluer les risques de l’exécution des dérogations administratives obtenues en matière d’espèces protégées et de l’exploitation du site dès lors que des recours contentieux sont pendants et leur issue incertaine au regard de la difficulté à justifier d’une raison impérative d’intérêt public majeur de nature sociale ou économique, et ce sous peine d’une éventuelle suspension d’exploiter tant qu’il n’aura pas été statué sur une nouvelle autorisation, sans compter, en outre, les difficultés posées par la remise en état des sites.

 

Gaëlle PAULIC

Avocate au Barreau de Nantes

 

 

[1] Considérant 5 du jugement : « Si l’arrêté du 26 décembre 2017 énonce les raisons pour lesquelles il n’existe pas d’autres solutions alternatives satisfaisantes à l’implantation de cette carrière et mentionne en quoi la dérogation accordée répondrait à des raisons impératives d’intérêt public majeur, l’arrêté contesté se borne à mentionner que «  la demande de dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces protégées concernées dans leur aire de répartition naturelle ». Par cette affirmation, qui s’abstient de préciser les éléments de fait sur lesquels repose cette appréciation, l’arrêté en litige ne permet pas de s’assurer du respect de ce critère, dès lors, l’arrêté contesté est insuffisamment motivé ».

 

[2] Ces dispositions, applicables depuis le 1er mars 2017, résultent de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, dont l’article 15 prévoit notamment que : « 1° Les autorisations délivrées au titre (…) du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l’environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance (…) sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l’article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ».

[3] CE, 22 juillet 2020, n°429610 : « 7. Il résulte des dispositions citées au point précédent que les autorisations délivrées au titre de la police de l’eau en application de l’article L. 214-3 du code de l’environnement, antérieurement au 1er mars 2017, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 26 janvier 2017, sont considérées, à compter de cette date, comme des autorisations environnementales. Dès lors que l’autorisation environnementale créée par cette ordonnance tient lieu des diverses autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments énumérés au I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, dont la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces animales non domestiques et de leurs habitats prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé que l’autorisation environnementale issue de l’autorisation délivrée par le préfet le 17 octobre 2011 au titre de la police de l’eau pouvait être utilement contestée devant elle au motif qu’elle n’incorporait pas, à la date à laquelle elle a statué, la dérogation dont il était soutenu qu’elle était requise pour le projet de travaux en cause. Cependant, après avoir estimé que les travaux autorisés par l’arrêté attaqué étaient susceptibles d’entraîner la destruction ou la mutilation de spécimens d’espèces protégées ainsi que la destruction, l’altération ou la dégradation de leurs sites de reproduction et aires de repos, la cour a commis une erreur de droit en annulant l’autorisation attaquée dans son ensemble au seul motif que cette décision ne comporte pas la dérogation requise en vertu des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, alors que ce motif ne vicie l’autorisation environnementale en litige qu’en tant qu’elle n’incorpore pas cette dérogation, divisible du reste de l’autorisation.