Contentieux administratif : pas de prescription trentenaire pour les ouvrages publics mal implantés

Depuis le 29 janvier 2003 le Conseil d’Etat considère qu’il appartient au juge administratif de se prononcer sur la démolition d’un ouvrage public mal implanté en procédant à un bilan coûts-avantages :

 » Considérant que lorsque le juge administratif est saisi d’une demande d’exécution d’une décision juridictionnelle dont il résulte qu’un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’exécution de cette décision implique qu’il ordonne la démolition de cet ouvrage, de rechercher, d’abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible ; que, dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ; » (CE, 29 janvier 2003, n°245239)

Schématiquement le juge que ce soit pour ordonner la démolition ou indemniser le requérant :

  • vérifie si l’ouvrage est effectivement mal implanté
  • vérifie si une régularisation est possible
  • dans la négative prend en considération:
    • d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage,
    • d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général.

Par un arrêt du 27 septembre 2023, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions de prescription d’une action en démolition.

Selon les juges du Palais Royal au regard des spécificités de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni l’article 2227 du code civil, ni aucune autre disposition, ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action :

« 3. Lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l’implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l’administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l’écoulement du temps, de prendre en considération, d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

4. Aux termes de l’article 2227 du code civil : « () les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Compte tenu des spécificités, rappelées au point précédent, de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. L’invocation de ces dispositions du code civil au soutien de l’exception de prescription trentenaire opposée par la société Enedis était donc inopérante. Ce motif devant être substitué au motif par lequel l’arrêt attaqué juge non fondée cette exception, il y a lieu, par suite, d’écarter les moyens de cassation dirigés contre le motif retenu par la cour administrative d’appel de Versailles. » (CE, 27 septembre 2023, n°466321)

En dépit de cette évolution, le juge doit tenir compte du temps écoulé pour apprécier l’opportunité d’ordonner le déplacement de l’ouvrage et le quantum de l’indemnisation :

« 5. Si, ainsi que l’a relevé la cour pour caractériser un trouble de jouissance résultant notamment de l’inconvénient visuel lié à la présence des ouvrages électriques en cause, la ligne électrique surplombe la voie d’accès à la maison d’habitation de Mmes D et B et longe sa façade et son entrée à une distance inférieure à quatre mètres et si l’un des pylônes soutenant cette ligne est implanté sur leur propriété, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en dépit de l’ancienneté de la présence de ces ouvrages, les intéressées n’ont pas sollicité de mesures tendant à leur déplacement avant que la commune de Villers-en-Arthies ne décide de procéder à l’enfouissement de certaines lignes électriques par délibération du 7 mars 2014 de son conseil municipal sans intégrer la ligne litigieuse dans ce projet. Par ailleurs, si la cour s’est également fondée sur le refus opposé par le maire de Villers-en-Arthies au projet de construction d’une piscine sur leur propriété au motif des risques liés au surplomb par la ligne électrique, il ressort de ses constations que la demande de déclaration préalable de travaux n’a été présentée que postérieurement aux premières démarches entreprises afin d’obtenir le déplacement de la ligne électrique. En outre, si la cour a retenu l’existence d’un inconvénient pour l’intérêt public qui s’attache à la protection de l’église Saint-Martin, bâtiment inscrit au titre de la législation sur les monuments historiques, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la commune n’a pas inclus les ouvrages litigieux dans son programme d’enfouissement des lignes électriques et que ceux-ci ne sont pas situés à proximité immédiate de l’édifice en cause. Dans ces conditions, en estimant qu’eu égard aux inconvénients causés à Mmes D et B par la présence des ouvrages sur leur propriété, leur démolition ne portait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, malgré les coûts liés à l’enfouissement de la ligne et à la dépose du pylône et malgré les risques d’interruption du service de distribution d’électricité durant les travaux et alors que le temps écoulé depuis l’acquisition de la propriété supportant les ouvrages en cause était de nature à limiter l’importance des inconvénients allégués, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce. » (CE, 27 septembre 2023, n°466321, précité)

Jérôme Maudet

Avocat associé

 

Droit de l’immobilier : Ventes de résidences principales ou marchand de biens ?

Pour l’administration fiscale vendre 9 résidences principales en douze ans relève de l’activité de marchand de biens relevant du régime de la TVA et entraînant le paiement de l’impôt sur les bénéfices.

Pour le Conseil d’Etat encore faut-il que l’administration démontre un abus de droit ou l’absence d’affectation de l’immeuble à la résidence principale au moment de la vente.

« 5. La seule circonstance qu’un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d’immeubles qu’il affecte à sa résidence principale, sans que l’administration fiscale n’établisse ni qu’il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d’un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l’exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l’article 150-U du code général des impôts, caractériser une activité de marchand de biens.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’au titre des années en litige, M. et Mme B… ont cédé plusieurs maisons d’habitation qu’ils avaient construites sur des terrains acquis antérieurement. Ils ont placé ces cessions sous le régime d’exonération prévu par l’article 150-U du code général des impôts en faveur des résidences principales ainsi qu’en franchise de taxe sur la valeur ajoutée au motif qu’elles ne relevaient pas des opérations mentionnées à l’article 256 A du même code. La cour a jugé, d’une part, que les intéressés résultait du nombre d’opérations réalisées sur la période, du court délai qui séparait l’achèvement des travaux de construction des maisons de leur vente, et de la circonstance qu’avant même d’avoir réalisé les ventes, les contribuables avaient déjà acquis de nouveaux terrains, que ces opérations immobilières avaient procédé d’une intention spéculative et, d’autre part, qu’ils n’apportaient aucun élément de nature à établir que ces habitations étaient, à la date de cession, leur résidence principale. En statuant ainsi, alors que l’administration fiscale n’avait ni remis en cause l’affectation à la résidence principale de certains des immeubles cédés ni invoqué l’abus de droit, la cour a commis une erreur de droit. » (Conseil d’État, 9ème chambre, 14/06/2023, N°461960)

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Collectivités : Le maire peut s’opposer au raccordement d’une construction irrégulièrement édifiée

 

Par un arrêt du 6 avril 2023, la cour administrative d’appel de Marseille est venue rappeler les conditions dans lesquelles un Maire peut refuser le raccordement définitif au réseau d’eaux usées d’un bâtiment édifié irrégulièrement sur le fondement de l’article L.111-2 du Code de l’urbanisme.

« 5. D’une part, aux termes de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme :  » Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n’a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions « .

6. Ces dispositions, qui présentent le caractère de mesures de police de l’urbanisme, destinées à assurer le respect des règles d’utilisation du sol, permettent à l’autorité administrative chargée de la délivrance des permis de construire de refuser le raccordement définitif aux réseaux d’eau, lesquels incluent les réseau d’assainissement en tant que réseau d’eaux usées, d’un bâtiment irrégulièrement édifié. » (CAA Marseille, 6 avril 2023, N° 20MA00172)

Cet arrêt s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence abondante qui reconnaît au maire le droit de refuser le raccordement définitif aux réseaux publics (d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone) des bâtiments dont la construction ou la transformation n’a pas été régulièrement édifiée.

L. 111-12 du Code de l’urbanisme dispose en effet que :

« Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n’a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions. »

Voir notamment en ce sens :

« 4. D’une part, M. B…ne conteste pas que l’habitation légère dont il a sollicité le raccordement au réseau d’électricité a été édifiée sans autorisation d’urbanisme. Il n’allègue, par ailleurs, pas que cette installation était, à la date à laquelle elle a été réalisée, dispensée de toute formalité. D’autre part, la circonstance que l’habitation considérée soit un  » mobil-home  » ne permet pas, pour autant, de la regarder comme une habitation légère de loisirs, au sens de la législation d’urbanisme, une telle habitation étant destinée à une occupation temporaire ou saisonnière à usage de loisirs et non à l’habitat permanent. Par suite, M. B…ne saurait utilement, pour soutenir que l’installation de son habitation a été régularisée, se prévaloir de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ainsi que de l’article L. 443-1 du code de l’urbanisme, relatif aux créations de terrains de camping et de parcs résidentiels de loisirs. Dans ces conditions, le maire de la commune de Pornichet a légalement pu, sur le fondement de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, s’opposer au raccordement définitif du bâtiment litigieux au réseau d’électricité. » (CAA de Nantes, 19 juillet 2019, n° 19NT00589)

Ou encore :

« 5. La décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme, un raccordement d’une construction à usage d’habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d’une ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constitue le respect des règles d’urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l’environnement, il appartient, dans chaque cas, à l’administration de s’assurer et au juge de vérifier que l’ingérence qui découle d’un refus de raccordement est, compte tenu de l’ensemble des données de l’espèce, proportionnée au but légitime poursuivi. » (CAA BORDEAUX, 22 octobre 2020, n°18BX04531)

 

La Cour administrative d’appel de Versailles est d’ailleurs allée au-delà en considérant que la demande de pose d’un nouveau compteur au sein d’un immeuble déjà raccordé doit être assimilée à une demande de raccordement.

« 6. En premier lieu, les requérants soutiennent que le local n° 109 était déjà raccordé à l’électricité au moment où ils ont effectué leur demande de pose d’un compteur individuel supplémentaire et que la commune ne pouvait, dès lors, se fonder sur les dispositions de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme pour leur opposer un refus de raccordement ayant de surcroît eu pour effet de leur couper l’électricité dans ce local. Toutefois, la pose d’un compteur individuel d’électricité, spécifique à un local inclus dans un ensemble de lots bénéficiant déjà d’un seul point de raccordement à l’électricité, doit être regardée comme un nouveau raccordement au sens de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, différent de celui relatif à cet ensemble de lots comprenant le local en cause. (Cour administrative d’appel, Versailles, 6e chambre, 7 Mars 2019 – n° 16VE02525).

 

Encore faut-il que la construction soit effectivement régulière et que la décision soit suffisamment motivée rappelle la Cour administrative de Marseille :

« 14. En premier lieu, d’une part, contrairement à ce que soutient la commune de Cadolive, la construction à raccorder de Mme D… et M. A… B…, dont il n’est pas contesté qu’elle a été autorisée par un permis de construire délivré en 2007, ne peut être regardée comme irrégulière du seul fait qu’une division parcellaire serait intervenue depuis. D’autre part, la commune n’apporte aucune précision pour étayer l’affirmation selon laquelle cette construction ne serait pas conforme au permis de construire. La commune ne pouvait, par suite, opposer les dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme pour s’opposer au raccordement.

15. En second lieu, la commune n’explicite pas le fondement juridique des autres motifs opposés au raccordement de la propriété de Mme D… et M. A… B… au réseau d’assainissement de la commune que ces derniers contestent dans leur requête introductive d’instance.

16. Ainsi, aucun des motifs invoqués par la commune de Cadolive dans l’arrêté en litige au regard des éléments produits devant la Cour et le tribunal administratif, n’est de nature à justifier l’opposition au raccordement du bâtiment en cause au réseau d’assainissement. » (CAA Marseille, 6 avril 2023, N° 20MA00172)

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Droit des collectivités : une personne publique peut se prévaloir de la prescription acquisitive

Pour la Cour de cassation « la propriété s’acquiert par la prescription qui est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession. Ces textes ne réservent pas aux seules personnes privées le bénéfice de ce mode d’acquisition qui répond à un motif d’intérêt général de sécurité juridique en faisant correspondre le droit de propriété à une situation de fait durable, caractérisée par une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire » (3e Civ., 17 juin 2011, pourvoi n° 11-40.014, Bull. 2011, III, n° 106).

Par un arrêt du 4 janvier 2023, la haute juridiction de l’ordre judiciaire a estimé qu’une collectivité territoriale peut parfaitement se prévaloir de ces dispositions pour revendiquer la propriété d’un bien nonobstant le fait que le Code général de la propriété des personnes publiques ne le prévoit pas expressément.

« 6. Le livre susvisé énumère des modes d’acquisition de la propriété des personnes publiques, sans exclure la possibilité pour celles-ci de l’acquérir par prescription.

7. Pour déclarer irrecevable l’action en revendication de la commune, l’arrêt retient que, même si le code civil ne distingue pas entre les personnes, le code général de la propriété des personnes publiques énumère de manière exhaustive et exclusive les modes d’acquisition des biens immobiliers et mobiliers par les personnes publiques, de sorte que, depuis son entrée en vigueur, la prescription acquisitive, qui n’y est pas mentionnée, ne peut plus être invoquée par une personne publique.

8. En statuant ainsi, alors que les personnes publiques peuvent acquérir par prescription, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cass, 4 janvier 2023, Pourvoi n° D 21-18.993)

 

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Domanialité : évolution du trait de côte et limite du domaine public

Le 28 février 2010, à l’occasion de la tempête XYNTHIA, un mur de soutènement et une falaise surplombant la plage des Nouelles – Saint-Laurent à Plérin se sont effondrés.

Après un chemin de croix procédural opposant l’association exploitante du site et son assureur la Cour d’appel de Caen a posé à la juridiction administrative les questions préjudicielles suivantes :

 » 1° dire si le mur effondré soutenant les terres appartenant à la société Altygo était incorporé au domaine public maritime à la date du 28 février 2010,

2° dire s’il l’a été par la suite et à quelle date,

3° dire si la falaise effondrée était incorporée au domaine public maritime à la date du 28 février 2010 et jusqu’à quel niveau,

4° dire si elle l’a été par la suite et à quelle date « .

Après avoir rappelé les termes de l’article L.2111-4 du Code général de la propriété des personnes publiques, par un arrêt du 13 juillet 2022, la Cour administrative d’appel de Nantes a répondu par la négative à l’ensemble des questions posées (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246).

Selon elle, ni le mur, ni la falaise ne sont, au jour de la lecture de l’arrêt, incorporés au domaine public.

Cet arrêt, qui s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence habituelle en ce qui concerne les limites du domaine public naturel, est l’occasion pour la Cour de préciser son acception du trait de côte et de son évolution.

Pour la Cour, au jour de la tempête, ni le mur, ni la falaise n’était incorporé au domaine public maritime :

« Sur le mur de soutien :

    1. En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment des constatations opérées par l’expert nommé par la juridiction judiciaire, que le mur litigieux, dont une partie s’est effondrée le 28 février 2010, a été construit au début du XXème siècle, probablement entre 1910 et 1921 à hauteur moindre que celle qu’il avait lors de son effondrement en février 2010. Ce mur a ensuite fait l’objet d’un rehaussement. Il résulte d’une photographie figurant dans les archives départementales, non datée mais dont il est admis qu’elle représente la situation en 1910, que le mur initial déjà présent était séparé de la plage par quelques arbres, cette surface boisée ne devant dès lors pas être recouverte à l’époque par les plus hautes mers. Il résulte également de l’instruction qu’en février 2010 comme aujourd’hui, le mur soutenant le terrain d’assiette du centre hélio-marin ne jouxte pas directement la plage des Nouelles mais en est séparé par une  » banquette  » en béton, implantée plus profondément que le mur dans le sous-sol. Le mur appartenant à l’association Altygo et cette banquette donnant sur la plage constituent deux ouvrages distincts. Il ne résulte pas de l’instruction que les plus hautes mers, en dehors de perturbations météorologiques exceptionnelles comme celle de la tempête  » Xynthia  » intervenue en février 2010, dépassaient cette banquette située à l’avant du mur litigieux. Par ailleurs, il résulte de l’instruction, notamment de la cartographie du trait de côte Histolitt, produite à l’appui de ses écritures par l’association Altygo et librement consultable sur le site internet du gouvernement  » geoportail « , que ce trait de côte, qui matérialise en l’état des connaissances la laisse des plus hautes mers dans le cas d’une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales, se situe en devant du mur litigieux et ne l’inclut aucunement. Dès lors, il ne résulte pas de l’instruction que la parcelle sur laquelle est implantée le mur litigieux était recouverte, en février 2010, par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni n’en avait été artificiellement soustraite. Il suit de là qu’en février 2010, date du sinistre en cause, le mur de soutien du terrain d’emprise du centre hélio-marin n’était pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime. (…)

Sur la falaise :

    1. En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment des constatations opérées par l’expert nommé par le juge judiciaire, que la partie de la falaise au nord du terrain de l’association Altygo, qui s’est effondrée en février 2010, était située à une dizaine de mètres au-dessus de la plage et en outre à l’arrière d’un ouvrage en plan incliné servant de digue. Il ne résulte dès lors pas de l’instruction, alors surtout que le domaine public maritime naturel ne comprend que le sol et le sous-sol recouvert par les plus hautes mers et non le surplomb de ceux-ci, qu’en février 2010 la falaise en cause aurait été recouverte par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni ne pouvait être regardée comme un lais ou relais de la mer. Dans ces conditions, à la date du sinistre, la falaise éboulée à proximité des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relevait pas du domaine public maritime.» (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246)

 Pour les juges nantais, aujourd’hui, la situation demeure inchangée nonobstant le fait qu’à l’occasion de conditions météorologiques exceptionnelles la mer atteint parfois la falaise et le mur :

« Sur le mur de soutien : (…)

    1. En second lieu, la seule circonstance, établie par une photographie accompagnant un constat d’huissier d’octobre 2021, que le flot de la marée haute atteint le bord de la banquette située en contrebas du mur litigieux et que des vagues peuvent atteindre le bas du mur sous l’effet du vent ne permet pas d’établir qu’à la date de lecture de l’arrêt, la ligne des plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ait reculé jusqu’au mur en cause. Il suit de là qu’à la date de lecture de l’arrêt, le mur de soutien du terrain d’emprise du centre hélio-marin n’est pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime.

Sur la falaise : (…)

    1. En second lieu, alors même que la falaise en cause est séparée de la plage par un ouvrage en plan incliné et que l’éboulement a pu avoir pour effet de reculer la falaise par rapport au trait de côte, il ne résulte aucunement de l’instruction qu’à la date de mise à disposition du présent arrêt, une partie de la falaise soit recouverte par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles. Il suit de là qu’à la date de prononcé de l’arrêt, la falaise au nord de la plage des Nouelles au niveau des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relève pas du domaine public maritime.» (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246)

En résumé, les perturbations météorologiques exceptionnelles n’influent pas juridiquement sur l’emplacement du trait de côte.

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Pouvoirs de police du Maire : la pose d’un nouveau compteur est-elle assimilable à une demande de branchement ?

Le maire est en principe tenu de refuser le raccordement définitif aux réseaux publics (d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone) des bâtiments dont la construction ou la transformation n’a pas été régulièrement édifiée.

L. 111-12 du Code de l’urbanisme dispose en effet que :

« Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n’a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions. »

Voir notamment en ce sens :

« 4. D’une part, M. B…ne conteste pas que l’habitation légère dont il a sollicité le raccordement au réseau d’électricité a été édifiée sans autorisation d’urbanisme. Il n’allègue, par ailleurs, pas que cette installation était, à la date à laquelle elle a été réalisée, dispensée de toute formalité. D’autre part, la circonstance que l’habitation considérée soit un  » mobil-home  » ne permet pas, pour autant, de la regarder comme une habitation légère de loisirs, au sens de la législation d’urbanisme, une telle habitation étant destinée à une occupation temporaire ou saisonnière à usage de loisirs et non à l’habitat permanent. Par suite, M. B…ne saurait utilement, pour soutenir que l’installation de son habitation a été régularisée, se prévaloir de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ainsi que de l’article L. 443-1 du code de l’urbanisme, relatif aux créations de terrains de camping et de parcs résidentiels de loisirs. Dans ces conditions, le maire de la commune de Pornichet a légalement pu, sur le fondement de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, s’opposer au raccordement définitif du bâtiment litigieux au réseau d’électricité. » (CAA de Nantes, 19 juillet 2019, n° 19NT00589)

Ou encore :

« 5. La décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme, un raccordement d’une construction à usage d’habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d’une ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constitue le respect des règles d’urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l’environnement, il appartient, dans chaque cas, à l’administration de s’assurer et au juge de vérifier que l’ingérence qui découle d’un refus de raccordement est, compte tenu de l’ensemble des données de l’espèce, proportionnée au but légitime poursuivi. » (CAA BORDEAUX, 22 octobre 2020, n°18BX04531)

Pour la Cour administrative d’appel de Versailles la demande de pose d’un nouveau compteur au sein d’un immeuble est déjà raccordé doit être assimilée à une demande de raccordement.

« 6. En premier lieu, les requérants soutiennent que le local n° 109 était déjà raccordé à l’électricité au moment où ils ont effectué leur demande de pose d’un compteur individuel supplémentaire et que la commune ne pouvait, dès lors, se fonder sur les dispositions de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme pour leur opposer un refus de raccordement ayant de surcroît eu pour effet de leur couper l’électricité dans ce local. Toutefois, la pose d’un compteur individuel d’électricité, spécifique à un local inclus dans un ensemble de lots bénéficiant déjà d’un seul point de raccordement à l’électricité, doit être regardée comme un nouveau raccordement au sens de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, différent de celui relatif à cet ensemble de lots comprenant le local en cause. (Cour administrative d’appel, Versailles, 6e chambre, 7 Mars 2019 – n° 16VE02525).

Jérôme MAUDET

Avocat

Collectivités : La consolidation de la police de l’habitat : police partout, habitat indigne nulle part

 

« Il n’est pas d’œuvre humaine qui ne contienne en germe, dans son sein, le principe de sa dissolution ».

Eugène VIOLLET-LE-DUC,

Dictionnaire raisonné de l’architecture française

 

 

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité[1] ». Comme le reconnaît la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen elle-même, lorsqu’elle rencontre la nécessité publique, la propriété privée trouve là ses limites.

En matière de construction et d’habitation, ces dernières se trouvent renforcées à l’issue de l’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier 2021 de l’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations.

Une telle consolidation de l’action publique en matière de lutte contre l’habitat indigne était attendue, et ce d’autant plus que le processus législatif avait démarré dès 2018, préfigurant déjà les contours d’une telle évolution.

En effet, dans un avis formulé par l’Assemblée Nationale et présenté par Monsieur le Député Guillaume VUILLETET, il était déjà prévu de permettre au Gouvernement de procéder par voie d’ordonnance sur ce sujet[2].

L’exigence de procéder par voie d’ordonnance fut ensuite clairement formulée par l’article 198 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (1) : Chapitre III : Lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil (Articles 185 à 200), dite Loi Elan.

Cet article indique les éléments qui devront figurer dans l’ordonnance qui sera prise, à savoir :

« 1° D’harmoniser et de simplifier les polices administratives mentionnées aux articles L. 123-1 à L. 123-4, L. 129-1 à L. 129-7, L. 511-1 à L. 511-7, L. 521-1 à L. 521-4, L. 541-1 à L. 541-6, L. 543-1 et L. 543-2 du code de la construction et de l’habitation et aux articles L. 1311-4, L. 1331-22 à L. 1331-30 et L. 1334-1 à L. 1334-12 du code de la santé publique, et de prendre les mesures de coordination et de mise en cohérence nécessaires pour favoriser la mise en œuvre effective des mesures prescrites par l’autorité administrative ;

2° De répondre plus efficacement à l’urgence, en précisant les pouvoirs dévolus au maire dans le cadre de ses pouvoirs de police générale en matière de visite des logements et de recouvrement des dépenses engagées pour traiter les situations d’urgence, et en articulant cette police générale avec les polices spéciales de lutte contre l’habitat indigne ;

3° De favoriser l’organisation au niveau intercommunal des outils et moyens de lutte contre l’habitat indigne […] »

Conformément à ce qui était prescrit, l’ordonnance du 16 septembre 2020 et le décret du 24 décembre 2020[3] ont permis de simplifier (I), et d’optimiser (II) l’action de lutte contre l’habitat indigne.

 

I. La simplification de la lutte contre l’habitat indigne

 

L’exigence de simplification qui était prévue par la loi Elan s’est notamment trouvée concrétisée de deux façons dans le code de la construction et de l’habitation : d’une part, il a été procédé à une unification des polices (A) ; d’autres part, une répartition claire des compétences a été opérée (B).

 

A. L’unification de la lutte contre l’habitat indigne

    Auparavant dispersées entre le code de la santé publique[4] et le code de la construction et de l’habitation, et au sein même de ce dernier, réparties en diverses parties[5], les dispositions relatives à la lutte contre l’habitat indigne sont regroupées en un seul chapitre.

La simplification de cette nouvelle police de lutte contre l’habitat indigne transparaît à l’article L.511-1 du code de la construction et de l’habitation, selon lequel : « La police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations est exercée dans les conditions fixées par le présent chapitre et précisées par décret en Conseil d’Etat. »

Les différentes polices administratives se trouvent donc regroupées au sein d’une seule police, permettant d’apporter davantage de clarté s’agissant du champ d’application matérielle.

A ce titre, l’article L.511-2 du code de la construction et de l’habitation vient préciser, pour cette nouvelle police, les matières dans lesquelles elle peut intervenir, à savoir :

« 1° Les risques présentés par les murs, bâtiments ou édifices quelconques qui n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité des occupants et des tiers ;

[6] Le fonctionnement défectueux ou le défaut d’entretien des équipements communs d’un immeuble collectif à usage principal d’habitation, lorsqu’il est de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ou à compromettre gravement leurs conditions d’habitation ou d’utilisation ;

3° L’entreposage, dans un local attenant ou compris dans un immeuble collectif à usage principal d’habitation, de matières explosives ou inflammables, lorsqu’il est en infraction avec les règles de sécurité applicables ou de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ;

4° L’insalubrité, telle qu’elle est définie aux articles L. 1331-22 et L. 1331-23 du code de la santé publique. »

L’unité du champ matériel ne fait cependant pas disparaître la nécessaire dualité organique. Cette dernière bénéficie désormais d’une répartition claire de ses compétences et de leur mise en œuvre.

 

B. Une répartition claire des compétences

    Il n’était pas possible pour l’ordonnance du 16 septembre 2020 d’éviter, à travers les nouveaux articles du code de la construction et de l’habitation, la traditionnelle dualité des acteurs locaux que sont le maire et le préfet.

Pour cette raison, l’article L.511-4 du code de la construction et de l’habitation vient préciser la répartition des pouvoirs qui est opérée entre ces deux autorités :

« L’autorité compétente pour exercer les pouvoirs de police est :

1° Le maire dans les cas mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 511-2, sous réserve s’agissant du 3° de la compétence du représentant de l’Etat en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement prévue à l’article L. 512-20 du code de l’environnement ;

2° Le représentant de l’Etat dans le département dans le cas mentionné au 4° du même article. »

Au titre de la mise en œuvre de leurs compétences, il est important de noter que ces deux autorités peuvent se voir signaler des faits entrant dans leur champ de compétence par toute personne qui en aurait connaissance, ainsi que le prévoit l’article L.511-6 du code précité.

Par ailleurs, ces deux autorités, pour mettre en œuvre leurs compétences peuvent, en application de l’article L.511-7 du code de la construction et de l’habitation, faire procéder à toutes visites qui leurs paraissent utiles afin d’évaluer les risques qui se trouvent mentionnés par l’article L.511-2 du code de la construction et de l’habitation.

Ce pouvoir trouve toutefois deux limites. Tout d’abord, lorsque de telles visites se déroulent sur des lieux à usage totale ou partielle d’habitation, elles ne peuvent être effectuées qu’entre 6h et 21h. Par ailleurs, si l’occupant s’oppose à une telle visite ou si la personne ayant qualité pour autoriser l’accès aux lieux ne peut pas être atteinte, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation du juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés ces lieux.

Ces deux autorités voient également leur décision être éclairée à la lumière d’un constat établit par un rapport.

Concrètement, pour la situation d’insalubrité, il s’agit d’un rapport du directeur général de l’agence régional de santé ou du directeur du service communal d’hygiène et de santé (Art. L.511-8 CCH). On se trouve ici dans une situation de compétence liée, dans la mesure où ce rapport est un préalable obligatoire à l’arrêté d’insalubrité.

S’agissant de l’arrêté de mise en sécurité qui est pris par le maire, il est pris sur la base d’un rapport établi par les services municipaux ou intercommunaux compétents. Le maire peut également demander à la juridiction administrative la désignation d’un expert, qui doit se prononcer dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa désignation[7]. (Art. L.511-9 du CCH).

Cela étant, si l’expert conclu à l’existence d’un danger imminent, l’autorité compétente doit suivre une procédure particulière.

En effet, et s’agissant de l’arrêté de mise en sécurité, l’article L.511-9 du CCH précise que « Si le rapport de l’expert conclut à l’existence d’un danger imminent, l’autorité compétente fait application des pouvoirs prévus par la section 3 du présent chapitre. »

En application des pouvoirs prévus par la section 3, l’autorité compétente ordonne par arrêté les mesures indispensables pour faire cesser le danger imminent dans un délai qu’elle fixe, sans procédure contradictoire préalable pour l’arrêté de mise en sécurité. (Art. L.511-19 du CCH).

On doit mentionner et regretter ici, eu égard à l’effort de clarification entrepris, un manque de précision relatif à la rédaction de l’article L.511-19 du code de la construction et de l’habitation ainsi formulé dans son premier alinéa :

« En cas de danger imminent, manifeste ou constaté par le rapport mentionné à l’article L. 511-8 ou par l’expert désigné en application de l’article L. 511-9, l’autorité compétente ordonne par arrêté et sans procédure contradictoire préalable les mesures indispensables pour faire cesser ce danger dans un délai qu’elle fixe. »

Le premier manque de précision concerne l’utilisation même de la procédure prévue par cet article. En effet, ce dernier permet d’agir sans procédure contradictoire préalable et ce même en cas de danger simplement constaté. Or un danger constaté, mais qui n’a pas un caractère imminent ou manifeste ne fait pas nécessairement apparaître un caractère d’urgence, de tel sorte que les acteurs locaux peuvent hésiter sur la démarche à suivre en matière de contradictoire.

Il est donc nécessaire de faire œuvre de précaution et de recourir au contradictoire alors même que cela n’est pas forcément l’esprit du texte.

Le second manque de précision de cet article concerne le rapport qui est visé. Le rapport mentionné à l’article L.511-8[8] du CCH peut être le rapport de du directeur de l’Agence Régionale de Santé, comme le rapport des services municipaux ou intercommunaux.

A la lecture du second aliéna de l’article L.511-19 du CCH, qui évoque une procédure de démolition, on peut raisonnablement considérer qu’il est question du rapport des services municipaux et intercommunaux. Un plus grand degré de précision aurait toutefois permis d’éviter de telles suppositions.

En revanche, et de façon ordinaire, l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité pris en application de l’article L.511-10[9] du CCH se fait à l’issue d’une procédure contradictoire[10].

La possibilité de déroger à une telle obligation comme le prévoit le code de la construction et de l’habitation, participe, d’une certaine façon, à cette volonté d’optimiser la lutte contre l’habitat indigne.

 

II. L’optimisation de la lutte contre l’habitat indigne

L’optimisation correspond à l’action d’obtenir le meilleur. En cela, les nouvelles dispositions issues de l’ordonnance du 16 septembre 2020 sont censées permettre aux autorités compétences d’obtenir le meilleur résultat, eu égard aux prescriptions qui devront être adoptées. En effet, ces nouvelles dispositions permettent un renforcement des moyens d’action (A), et prévoit une forme de garantie de l’effectivité de ces dernières (B).

 

A. Un renforcement des moyens d’action

    Les articles L.511-11 et suivants du code de la construction et de l’habitation offrent aux autorités compétentes un large choix d’actions qu’elles peuvent utilement mettre en œuvre en fonction de la gravité des situations constatées.

L’article L.511-11[11] du code précité prévoit notamment ainsi que « L’autorité compétente prescrit, par l’adoption d’un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, la réalisation, dans le délai qu’elle fixe, de celles des mesures suivantes nécessitées par les circonstances :

1° La réparation ou toute autre mesure propre à remédier à la situation y compris, le cas échéant, pour préserver la solidité ou la salubrité des bâtiments contigus ;

2° La démolition de tout ou partie de l’immeuble ou de l’installation ;

3° La cessation de la mise à disposition du local ou de l’installation à des fins d’habitation ;

4° L’interdiction d’habiter, d’utiliser, ou d’accéder aux lieux, à titre temporaire ou définitif. »

Par ailleurs, l’article L.511-11 du code de la construction et de l’habitation prévoit que l’arrêté doit mentionner qu’à l’expiration du délai fixé, la personne qui n’a pas exécuté les travaux[12] est redevable du paiement d’une astreinte par jour de retard. Le même article prévoit également que les travaux peuvent être exécutés d’office aux frais de la personne visée par l’arrêté[13].

Il est important de relever que la personne visée par l’arrêté, pour n’être pas tenu d’exécuter les mesures prescrites, peut notamment se libérer de son obligation par la conclusion d’un bail à réhabilitation. Elle peut également le faire si elle conclut un bail emphytéotique ou contre un contrat de vente moyennant paiement d’une rente viagère, « à charge pour les preneurs ou débirentiers d’exécuter les travaux prescrits et d’assurer, le cas échéant, l’hébergement des occupants ».

Si la personne exécute les travaux conformément à ce qui est prescrit, elle peut alors obtenir la mainlevée de l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, en application de l’article L.511-14 du code de la construction et de l’habitation.

De tels moyens d’action trouvent également la garantie de leur effectivité à travers deux créations de l’ordonnance du 16 septembre 2020 que sont la procédure d’urgence et les dispositions pénales, contribuant ainsi à optimiser les mesures prescrites.

 

B. Une garantie de l’effectivité des moyens d’action

    Pour apporter un peu plus de garanties dans les actions menées par cette nouvelle police de l’habitat, l’ordonnance prévoit une procédure d’urgence propre à permettre que l’action soit menée dans les temps.

En effet, les dispositions des articles L.511-19[14] à L. 511-21 du code de la construction et de l’habitation offrent la possibilité à l’autorité compétente de faire face à toutes les situations, y compris les plus urgentes et ce de manière prompt.

Contrairement à ce qui était prévu par l’ancien article L.511-3 du code de la construction et de l’habitation, le maire n’est donc plus tenu de procéder contradictoirement que ce soit en cas de danger imminent, manifeste ou constaté.

Pour éviter tout risque et si aucune autre mesure ne permet d’écarter le danger, l’autorité compétente peut même aller jusqu’à faire procéder à la démolition complète de l’immeuble. Si une telle décision doit reposer sur un jugement du président du tribunal judiciaire, elle est le fruit d’une procédure accélérée au fond.

Par ailleurs, et de la même façon que pour la procédure ordinaire, si les mesures prescrites ne sont pas exécutées dans les délais, il est possible de les faire exécuter d’office, conformément à l’article L.511-20 du code précité.

Au-delà de cette optimisation temporelle, les nouvelles dispositions ne manquent pas de prévoir des sanctions pénales.

En effet, l’article L.511-22 du code de la construction et de l’habitation envisage des sanctions tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales.

S’agissant des personnes physiques, les nouvelles dispositions prévoient des peines d’emprisonnement et d’amende, mais également la possibilité de confisquer les biens ou encore l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale, de même que l’interdiction d’acheter un bien immobilier à usage d’habitation ou un fonds de commerce.

Les personnes morales quant à elles peuvent se voir également interdire d’acheter ou d’être usufruitier d’un bien immobilier à usage d’habitation ou d’un fonds de commerce d’un établissement recevant du public à usage totale ou partiel d’hébergement. Ces mêmes personnes morales peuvent se voir aussi confisquer certains biens.

La propriété privée, droit inviolable et sacré, ne saurait donc l’emporter sur la nécessité publique de prévenir les risques liés aux habitats indignes. L’action publique se trouve largement fortifiée par les nouvelles dispositions du code de la construction et de l’habitation, telles qu’elles sont issues de l’ordonnance du 16 septembre 2020. Puisse l’habitat indigne s’en trouver diminué.

 

Aurélien DEBRAY

Docteur en droit et élève avocat

 

Jérôme MAUDET

Avocat

 

[1] Article 17, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

[2] Voir Article 58, « Simplifier par ordonnance les procédures de lutte contre l’habitat indigne », Avis fait au nom de la Commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur le Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (n°846), enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mai 2018.

[3] Décret n° 2020-1711 du 24 décembre 2020 relatif à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations.

[4] Art. L.129-1 CSP ; Art. L.1331-22 CSP ; Art. L.1331-23 CSP ; Art. L.1331-24 CSP ; Art. L.1331-25 CSP ; Art. L.1331-26 CSP ; Art. L.1331-26-1 CSP.

[5] Art. L.129-1 CCH ; Art. L.129-4-1 CCH ; Art.L.511-2 CCH ; Art. L.511-3 CCH.

[6] Voir également Art. R.511-1 CCH.

[7] Voir également Art. R.511-2 et R.511-4 CCH.

[8] Voir aussi l’Art. R.511-3 CCH.

[9] Voir également Art. R.511-3 et R.511-5 CCH.

[10] V. Art. R.511-8 CCH.

[11] Voir aussi Art. R.511-4 CCH.

[12] Article R.511-6 du code de la construction et de l’habitation : « Le délai d’exécution des mesures de réparation ou de démolition ne peut être inférieur à un mois à compter de la date de la notification de l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, sauf dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article L. 511-19. »

[13] Voir Art. R.511-9 CCH.

[14] Voir également l’Art. R.511-6 et Art. R.511-8 CCH.

Droit de propriété : la servitude d’écoulement des eaux usées est imprescriptible

Par un arrêt du 17 juin 2021 la Cour de cassation est venue rappeler que les servitudes dont l’exercice exige le fait de l’homme sont discontinues et ne peuvent s’acquérir que par titre.

Tel est le cas des servitudes d’écoulement des eaux usées :

« 2. M. [V] fait grief à l’arrêt de rejeter la demande, alors « qu’une servitude d’écoulement des eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, même si elle s’exerce au moyen de canalisations apparentes et permanentes ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 688 et 691 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 688 et 691 du code civil :

3. Il résulte de ces textes que les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées et que, apparentes ou non apparentes, elles ne peuvent s’acquérir que par titre.

4. Pour rejeter la demande formée par M. [C] en suppression des canalisations empiétant sur son fonds, l’arrêt retient que M. et Mme [D] ont acquis une servitude d’écoulement des eaux usées par prescription trentenaire.

5. En statuant ainsi, alors que la servitude d’écoulement des eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, la cour d’appel a violé les textes susvisés. » (Cass. 3e civ., 17 juin 2021, n° 20-19.968.)

Jérôme MAUDET
Avocat

Vie du cabinet : formation des élus et des agents sur les procédures d’expulsion

Louis-Marie LE ROUZIC animait mardi 16 mars une formation (en présentiel !!) destinée aux élus et agents de plusieurs collectivités sur le thème :

« Occupation illégale du domaine appartenant à une collectivité et procédures contentieuses d’expulsion ».

Au programme de la matinée :

  • La constatation de l’occupation
  • La contestation de l’occupation
  • La cessation de l’occupation

Merci aux participants pour la qualité de leur écoute et des échanges.

Les agents habilités à poursuivre les infractions à l’environnement ont désormais accès au système d’immatriculation des véhicules

L’article 99 de la LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a habilité les agents de police judiciaires adjoints et les gardes-champêtres à constater l’abandon ou le dépôt illégal de déchets.

Depuis l’entrée en vigueur du Décret n° 2021-285 du 16 mars 2021 modifiant les articles R. 330-2 et R. 330-3 du code de la route relatifs aux conditions d’accès au traitement de données à caractère personnel dénommé « Système d’immatriculation des véhicules », ces mêmes agents ainsi que les fonctionnaires et agents mentionnés à l’article L. 172-4 du code l’environnement disposent désormais d’un accès aux informations concernant les pièces administratives exigées pour la circulation des véhicules.

L’objectif est de permettre l’identification rapide des auteurs de dépôts illégaux de déchets.

 

Jérôme MAUDET

Avocat