Collectivités : l’interdiction d’habiter prononcée par le maire doit être proportionnée et encadrée dans le temps.

Aux termes d’un jugement du 15 octobre 2024, le tribunal administratif de Bastia a jugé illégale une interdiction d’habiter un immeuble situé sur une falaise menaçant de s’effondrer à une échéance évaluée à une centaine d’année.

Selon le Tribunal, en tant qu’elle ne fixe pas de durée à cette interdiction d’habiter, la mesure doit être regardée comme une mesure permanente et définitive qui ne peut pas être édictée par un maire au titre de ses pouvoirs de police.

Ce tribunal rappelle que :

« 3. Le maire peut, en vertu des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales citées au point 2,
prendre des mesures temporaires ou limitées de prévention ou de sauvegarde. En revanche, ce maire ne peut pas, sur le fondement de ces mêmes dispositions, prendre une mesure permanente et définitive privant le propriétaire de l’immeuble de l’usage de son bien en interdisant toute occupation de celui-ci dans l’attente d’une éventuelle acquisition amiable par la commune. » (TA Bastia, 15 octobre 2024, n°2300494)

En l’espèce, les juges bastiais, retiennent tout d’abord que le rapport d’expertise sur lequel est fondé l’arrêté se bornait à préconiser certaines mesures :

« (…) d’une part, l’arrêté litigieux se fonde sur les conclusions du rapport « Cerema-Ineris-Brgm » réalisé en mars 2021 sur l’évaluation de l’aléa et la proposition de mesures de gestion du risque d’effondrement en grande masse dans le secteur de la falaise de la citadelle de Bonifacio. Il ressort de ce rapport que la parcelle de la société requérante est située en zone d’aléa de risque fort. Dans cette zone, la probabilité d’effondrement de la falaise est de 100 ans. S’agissant de la parcelle en cause, le rapport préconise de prendre plusieurs mesures de réduction des enjeux humains, en réalisant des études complémentaires de la temporalité de l’aléa et de la structure des bâtiments, en prenant des mesures de confortement et en interdisant toute extension ou construction nouvelle. Afin de réduire l’aléa dans cette zone, le rapport préconise des mesures d’étanchéification du sommet de la falaise et de gestion durable des eaux. »

Par ailleurs, le Tribunal a considéré que cette mesure présente un caractère permanent qui excède la compétence du Maire auquel le Préfet s’était substitué :

D’autre part, l’arrêté litigieux, qui ordonne l’évacuation avec interdiction d’habiter l’immeuble de M. D. sans en fixer la durée, présente le caractère d’une mesure permanente et définitive, privant le propriétaire de l’immeuble de l’usage de son bien. »

Le requérant était donc bien fondé à soutenir que les mesures édictées par l’arrêté attaqué sont entachées d’illégalité en ce qu’elles ne sont ni strictement proportionnées à leur nécessité, ni encadrées dans le temps.

Dans le même sens et le même jour (TA Bastia, 15 octobre 2024, N° 2201607).

 

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Droit pénal de l’urbanisme : Le changement d’affectation d’une construction régulièrement édifiée peut-il être sanctionné ?

Par un arrêt du 27 février 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation est venue préciser que le fait d’affecter une construction à une destination contraire au plan local d’urbanisme constitue un délit.

La circonstance que la construction ait été édifiée régulièrement est totalement inopérante.

Pour renvoyer les prévenus des fins de la poursuite, la Chambre des appels correctionnels de Nancy avait estimé que seules les constructions à usage artisanales étaient interdites par le PLU et non l’activité elle-même (CA Nancy, 30 mars 2023).

Pour la Cour de cassation, le simple changement d’affectation peut, au contraire, être constitutif d’un délit.

 » Réponse de la Cour

Vu les articles L. 151-9, L. 480-4 et L. 610-1 du code de l’urbanisme :

12. Il se déduit de ces textes que le fait d’affecter à une utilisation contraire aux dispositions du plan local d’urbanisme des constructions régulièrement édifiées en vue d’une autre affectation constitue une violation de ce plan et le délit prévu à l’article L. 610-1 du code de l’urbanisme.

13. Pour relaxer les prévenus, l’arrêt attaqué énonce qu’aux termes de l’article UE1 du plan local d’urbanisme, ce sont les constructions à usage artisanal ou industriel qui sont interdites et non toute activité artisanale ou industrielle, comme indiqué par la partie civile.

14. Les juges ajoutent qu’aucun élément du dossier n’établit que les deux prévenus aient effectué une quelconque construction à usage artisanal sur les parcelles que leurs sociétés occupaient.

15. Ils en déduisent que la partie civile doit être déboutée de l’ensemble de ses demandes.

16. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef. » (Cass. crim., 27 févr. 2024, n° 23-82.639) 

 

Jérôme MAUDET

Avocat.

Collectivités : Une construction irrégulière ne peut pas donner lieu à indemnité d’expropriation

Par un arrêt du 15 février 2024, la Cour de cassation a estimé que le propriétaire d’une construction illégalement édifiée ne peut pas demander à être indemnisé de son préjudice en cas d’expropriation nonobstant le fait que les délais de prescription de l’action en démolition sont épuisés.

Pour la Cour de cassation l’indemnité d’expropriation ne peut porter que sur des droits juridiquement protégés.

Or, le propriétaire d’un immeuble illégalement édifié ne justifie pas d’un tel droit au jour de l’expropriation y compris lorsque la construction est achevée depuis plus de dix ans.

« 8. Aux termes du premier de ces textes, lorsqu’il existe une contestation sérieuse sur le fond du droit ou sur la qualité des réclamants et toutes les fois qu’il s’élève des difficultés étrangères à la fixation du montant de l’indemnité et à l’application des articles L. 242-1 à L. 242-7, L. 322-12, L. 423-2 et L. 423-3, le juge fixe, indépendamment de ces contestations et difficultés, autant d’indemnités alternatives qu’il y a d’hypothèses envisageables et renvoie les parties à se pourvoir devant qui de droit.

9. Aux termes du second, les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation.

10. Il est jugé, en application de cette disposition, que seul peut être indemnisé le préjudice reposant sur un droit juridiquement protégé au jour de l’expropriation (3e Civ., 3 décembre 1975, pourvoi n° 75-70.061, Bull. n° 361 ; 3e Civ., 8 juin 2010, pourvoi n° 09-15.183 ; 3e Civ., 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.792, publié)

11. Dès lors, faute pour son propriétaire de pouvoir invoquer un droit juridiquement protégé au jour de l’expropriation, la dépossession d’une construction édifiée irrégulièrement et située sur une parcelle inconstructible, n’ouvre pas droit à indemnisation, même si toute action en démolition est prescrite à la date de l’expropriation.

12. Pour fixer des indemnités alternatives selon que le caractère illégal de la construction sera judiciairement reconnu ou non, l’arrêt énonce que ne donne pas droit à indemnisation le préjudice afférent à une construction édifiée illégalement, sauf si l’infraction pénale est prescrite, et retient qu’il existe une contestation sérieuse, au sens de l’article L. 311-8 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, puisque l’expropriée indique que, même si la construction est irrégulière, la prescription est acquise, dans la mesure où la construction est présente depuis plus de dix années et que des poursuites judiciaires pour infractions au code de l’urbanisme ont été engagées contre elle.

13. En statuant ainsi, après avoir constaté l’irrégularité de la construction édifiée sur une parcelle inconstructible, dont il s’évinçait que, même si toute action en démolition était prescrite, l’expropriée ne pouvait invoquer un droit juridiquement protégé dont la perte pourrait ouvrir droit à indemnisation, la cour d’appel a violé les textes susvisés. » (Cass Civ. 3e, 15 février 2024, n°22-16.460).

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Contentieux administratif : règles d’indemnisation et de déplacement de l’ouvrage public mal implanté

Outre la réparation pécuniaire du préjudice, les tiers peuvent demander au juge d’enjoindre à la personne publique ou à son concessionnaire de déplacer l’ouvrage ou de procéder aux mesures qui s’imposent pour mettre un terme aux nuisances.

L’article L.911-1 du Code de justice administrative dispose en effet que :

« Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution.

 

La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure. »

Par un arrêt du 18 mars 2019, le Conseil d’Etat était venu préciser les conditions dans lesquelles le juge administratif peut faire usage de son pouvoir d’injonction pour ordonner le déplacement d’un ouvrage ou la mise en œuvre de mesures destinées à mettre fin au préjudice subi par les tiers. (Conseil d’État, 18/03/2019, 411462, Mentionné dans les tables du recueil Lebon)

Par un arrêt du 30 janvier 2024, la Cour Administrative d’appel est venue confirmer qu’un ouvrage même mal implanté n’a pas à être déplacé si ce déplacement présente une atteinte excessive à l’intérêt général.

 

En l’espèce, il s’agissait d’un transformateur appartenant à la société Enedis :

« 4. Lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l’implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l’administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l’écoulement du temps, de prendre en considération, d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

5. En premier lieu, d’une part, il résulte de l’instruction qu’à la suite de la résiliation par la société Nini du contrat de bail du 27 août 1964, le tribunal judiciaire de Nanterre a, par un jugement du 4 janvier 2021 devenu définitif, déclaré la société Enedis occupante sans droit ni titre depuis le 29 novembre 2017 du local de 12m² au sein duquel est implanté un poste de transformation électrique. D’autre part, si la société Enedis, en tant que concessionnaire de distribution de l’énergie électrique, a le pouvoir, en vertu de l’article L. 323-3 du code de l’énergie, de prendre l’initiative d’une procédure d’expropriation, il n’apparaît pas qu’elle ait effectivement envisagé d’y recourir. Il s’ensuit que le maintien du poste de transformation électrique au sein de l’immeuble du 99 avenue Achille Peretti constitue une emprise irrégulière sans que la régularisation de cette implantation irrégulière n’apparaisse envisageable en l’espèce.

6. En second lieu, il résulte de l’instruction que le transformateur en litige, qui fait partie du réseau électrique de Neuilly-sur-Seine, dont il n’est pas contesté par la société requérante qu’il est entièrement souterrain, est pleinement exploité et assure la desserte en électricité de 225 foyers et 59 locaux professionnels. Il résulte également de l’instruction que la suppression du poste de distribution  » Peretti  » en litige ne peut être compensée par la création d’un nouveau poste compte tenu de l’absence d’opportunité foncière publique, liée notamment à l’encombrement du sous-sol de la voirie par les réseaux de transport, ou d’opportunité foncière privée, à défaut de projet de nouvelle construction dans ce secteur. Sa suppression nécessiterait ainsi de basculer la puissance qu’il génère vers des postes de distribution voisins. Or les règles de l’art en matière de distribution de proximité, telles qu’elles résultent des prescriptions du réseau de distribution d’électricité  » Développement du réseau basse tension « , requièrent de raccorder une installation au poste de distribution le plus proche géographiquement, afin de minimiser les effets de chute de tension pour les usagers, ainsi qu’au cas d’espèce, les risques d’incidents. L’étude du 14 juin 2021 produite par Enedis, qui prend également en compte la configuration urbaine, identifie ainsi trois postes de distribution voisins susceptibles d’absorber la puissance qui résulterait de la suppression du poste de distribution en cause, à savoir les postes  » Saint Pierre 18 « ,  » Louis Philippe 9 « ,  » Orléans 9 « . Elle conclut toutefois, sans être utilement contestée par la société requérante, qu’il n’est pas possible de basculer la puissance vers les postes proches  » Louis Philippe 9  » et  » Orléans 9  » sans dépasser les limites techniques d’intensité de ces postes, ni vers le poste  » Saint Pierre 18  » en raison de l’impossibilité technique de créer de nouveaux départs depuis ce dernier. En outre, un tel basculement de puissance aurait pour conséquence une saturation des postes  » Louis Philippe 9  » et  » Orléans 9 « , ce qui empêcherait de répondre à d’éventuels besoins complémentaires en électricité à proximité. De surcroît, le fait que les postes seraient amenés en limite de capacité, à échéance de moins de dix ans, empêche de mobiliser ces postes existants pour faire face à un incident d’exploitation. Enfin, la société requérante se borne à alléguer qu’il n’est pas établi que d’autres postes voisins ne pourraient pas absorber la puissance correspondant au transformateur en litige, sans préciser les postes qui pourraient faire l’objet d’un redéploiement sans franchissement souterrain de voie.

7. D’autre part, le poste de transformation électrique en litige occupe un local d’environ 12m² situé au sous-sol de l’immeuble appartenant à la société Nini. Si cette société soutient que cette présence, de même que l’opposition d’Enedis à la fermeture du porche qui surplombe ce local dès lors que la trappe d’accès située au droit du local ne serait plus accessible directement et en permanence et n’assurerait plus la ventilation, elle n’établit pas qu’un projet de réaffectation à usage d’activités du reste de l’emprise du sous-sol et du porche serait impossible et la priverait de la possibilité de réhabiliter son bien. En outre, il ne résulte pas de l’instruction que l’implantation actuelle de l’ouvrage engendre des risques de sécurité particulier pour les occupants de l’immeuble, ni compte tenu de la configuration des lieux et de ce que l’accès au local est verrouillé, que les intrusions répétées dans le sous-sol seraient dues à la société Enedis. De plus, la société requérante ne justifie pas de l’existence des troubles sonores pour les occupants causés par l’ouvrage situé au sous-sol de l’immeuble. Ainsi, s’il est constant que le maintien de l’ouvrage empêche la réutilisation par la société requérante de 12m² de surface de sous-sol et celle d’une même superficie au-dessus de ce local, au niveau du porche, en raison de la présence d’une trappe qui doit demeurer directement accessible de façon permanente, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts privés en présence présentent néanmoins un caractère limité.

8. Au regard des inconvénients limités que la présence de l’ouvrage entraîne pour la société requérante, de l’absence de perspectives de relocalisation, et des conséquences qui résulteraient de la démolition du transformateur pour le service public de distribution d’électricité, il résulte de l’instruction que son déplacement entraînerait une atteinte excessive à l’intérêt général. Pour les mêmes motifs, un tel maintien n’est pas contraire à l’article 1er du protocole I de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il s’ensuit que les conclusions dirigées contre la décision refusant de faire droit au déplacement de l’ouvrage doivent être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d’injonction avec astreinte doivent également être rejetées. » (CAA VERSAILLES, 30 janvier 2024, N° 21VE03143)

Au plan indemnitaire, le juge tient classiquement compte des indemnités déjà versées.

« Sur les conclusions indemnitaires :

9. Dans le cas d’une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, l’est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété. Si la décision d’édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée porte atteinte au libre exercice de son droit de propriété par celle-ci, elle n’a, toutefois, pas pour effet l’extinction du droit de propriété sur cette parcelle. Par suite, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d’édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant de l’occupation irrégulière de cette parcelle et tenant compte de l’intérêt général qui justifie le maintien de cet ouvrage.

10. La société Enedis doit, conformément au point 7 du présent arrêt, réparer intégralement le préjudice direct et certain découlant de son occupation irrégulière de la propriété de la société Nini. Il ne résulte pas de l’instruction que la société subisse une privation définitive de la jouissance de ce bien, ni de sa qualité de propriétaire. Compte tenu de la nature et de l’état des locaux, situés en sous-sol, la valeur locative annuelle n’a, ni à être fixée par référence aux loyers de locaux d’activité à 1 000 euros/m² par an, ni par référence aux dispositions de l’article R. 332-16 du code de l’urbanisme à la somme de 106,71 euros/m². Il sera fait une juste appréciation de l’indemnisation du préjudice temporaire de jouissance subi par la société, compte tenu de la surface d’emprise du local de 12m² en sous-sol et des conséquences liées à la nécessité de maintenir une trappe directement et en permanence accessible au-dessus de ce local, au niveau du porche, en fixant l’indemnité d’occupation à la somme de 400 euros/m² soit 4 800 euros par année d’occupation irrégulière à compter de la réclamation préalable du 24 septembre 2018.

11. Toutefois, par un jugement du 4 janvier 2021, devenu définitif en l’absence d’appel, le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré la société Enedis occupante sans droit ni titre du local en litige après résiliation du bail par la SCI Nini et a condamné la société Enedis à verser à la SCI Nini une indemnité annuelle d’occupation de 3 000 euros par an. Eu égard à la finalité de cette indemnité d’occupation, qui a pour objet de réparer l’entier préjudice subi par le bailleur en contrepartie de l’occupation des lieux mais aussi en réparation de la privation de son bien, le juge administratif est tenu de prendre en compte cette condamnation qui a permis à la société requérante d’obtenir ainsi partiellement réparation de son préjudice indemnisable sur le même fondement que celui retenu dans le cadre du présent arrêt au point 10, pour la détermination du montant de la somme due par la société Enedis au titre des dommages et intérêts.

12. Il en résulte que la société Enedis doit donc être condamnée à verser à la société Nini une somme de 9 400 euros pour la période comprise entre le 24 septembre 2018 et la date du présent arrêt, puis la somme supplémentaire de 1 800 euros par an jusqu’à la libération totale des lieux occupés par le transformateur litigieux.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Nini est seulement fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 22 mars 2021 attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur ses conclusions indemnitaires du fait du maintien irrégulier du transformateur électrique et à obtenir la somme de 9 400 euros au titre de son préjudice subi au cours de la période comprise entre le 24 septembre 2018 et la date du présent arrêt, majorée d’une somme supplémentaire de 1 800 euros par an jusqu’à la libération du local occupé par ce transformateur. » (CAA VERSAILLES, 30 janvier 2024, N° 21VE03143)

Jérôme MAUDET

Avocat Associé

 

Contentieux administratif : pas de prescription trentenaire pour les ouvrages publics mal implantés

Depuis le 29 janvier 2003 le Conseil d’Etat considère qu’il appartient au juge administratif de se prononcer sur la démolition d’un ouvrage public mal implanté en procédant à un bilan coûts-avantages :

 » Considérant que lorsque le juge administratif est saisi d’une demande d’exécution d’une décision juridictionnelle dont il résulte qu’un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’exécution de cette décision implique qu’il ordonne la démolition de cet ouvrage, de rechercher, d’abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible ; que, dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ; » (CE, 29 janvier 2003, n°245239)

Schématiquement le juge que ce soit pour ordonner la démolition ou indemniser le requérant :

  • vérifie si l’ouvrage est effectivement mal implanté
  • vérifie si une régularisation est possible
  • dans la négative prend en considération:
    • d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage,
    • d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général.

Par un arrêt du 27 septembre 2023, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions de prescription d’une action en démolition.

Selon les juges du Palais Royal au regard des spécificités de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni l’article 2227 du code civil, ni aucune autre disposition, ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action :

« 3. Lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l’implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l’administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l’écoulement du temps, de prendre en considération, d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

4. Aux termes de l’article 2227 du code civil : « () les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Compte tenu des spécificités, rappelées au point précédent, de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. L’invocation de ces dispositions du code civil au soutien de l’exception de prescription trentenaire opposée par la société Enedis était donc inopérante. Ce motif devant être substitué au motif par lequel l’arrêt attaqué juge non fondée cette exception, il y a lieu, par suite, d’écarter les moyens de cassation dirigés contre le motif retenu par la cour administrative d’appel de Versailles. » (CE, 27 septembre 2023, n°466321)

En dépit de cette évolution, le juge doit tenir compte du temps écoulé pour apprécier l’opportunité d’ordonner le déplacement de l’ouvrage et le quantum de l’indemnisation :

« 5. Si, ainsi que l’a relevé la cour pour caractériser un trouble de jouissance résultant notamment de l’inconvénient visuel lié à la présence des ouvrages électriques en cause, la ligne électrique surplombe la voie d’accès à la maison d’habitation de Mmes D et B et longe sa façade et son entrée à une distance inférieure à quatre mètres et si l’un des pylônes soutenant cette ligne est implanté sur leur propriété, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en dépit de l’ancienneté de la présence de ces ouvrages, les intéressées n’ont pas sollicité de mesures tendant à leur déplacement avant que la commune de Villers-en-Arthies ne décide de procéder à l’enfouissement de certaines lignes électriques par délibération du 7 mars 2014 de son conseil municipal sans intégrer la ligne litigieuse dans ce projet. Par ailleurs, si la cour s’est également fondée sur le refus opposé par le maire de Villers-en-Arthies au projet de construction d’une piscine sur leur propriété au motif des risques liés au surplomb par la ligne électrique, il ressort de ses constations que la demande de déclaration préalable de travaux n’a été présentée que postérieurement aux premières démarches entreprises afin d’obtenir le déplacement de la ligne électrique. En outre, si la cour a retenu l’existence d’un inconvénient pour l’intérêt public qui s’attache à la protection de l’église Saint-Martin, bâtiment inscrit au titre de la législation sur les monuments historiques, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la commune n’a pas inclus les ouvrages litigieux dans son programme d’enfouissement des lignes électriques et que ceux-ci ne sont pas situés à proximité immédiate de l’édifice en cause. Dans ces conditions, en estimant qu’eu égard aux inconvénients causés à Mmes D et B par la présence des ouvrages sur leur propriété, leur démolition ne portait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, malgré les coûts liés à l’enfouissement de la ligne et à la dépose du pylône et malgré les risques d’interruption du service de distribution d’électricité durant les travaux et alors que le temps écoulé depuis l’acquisition de la propriété supportant les ouvrages en cause était de nature à limiter l’importance des inconvénients allégués, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce. » (CE, 27 septembre 2023, n°466321, précité)

Jérôme Maudet

Avocat associé

 

Droit de l’immobilier : Ventes de résidences principales ou marchand de biens ?

Pour l’administration fiscale vendre 9 résidences principales en douze ans relève de l’activité de marchand de biens relevant du régime de la TVA et entraînant le paiement de l’impôt sur les bénéfices.

Pour le Conseil d’Etat encore faut-il que l’administration démontre un abus de droit ou l’absence d’affectation de l’immeuble à la résidence principale au moment de la vente.

« 5. La seule circonstance qu’un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d’immeubles qu’il affecte à sa résidence principale, sans que l’administration fiscale n’établisse ni qu’il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d’un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l’exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l’article 150-U du code général des impôts, caractériser une activité de marchand de biens.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’au titre des années en litige, M. et Mme B… ont cédé plusieurs maisons d’habitation qu’ils avaient construites sur des terrains acquis antérieurement. Ils ont placé ces cessions sous le régime d’exonération prévu par l’article 150-U du code général des impôts en faveur des résidences principales ainsi qu’en franchise de taxe sur la valeur ajoutée au motif qu’elles ne relevaient pas des opérations mentionnées à l’article 256 A du même code. La cour a jugé, d’une part, que les intéressés résultait du nombre d’opérations réalisées sur la période, du court délai qui séparait l’achèvement des travaux de construction des maisons de leur vente, et de la circonstance qu’avant même d’avoir réalisé les ventes, les contribuables avaient déjà acquis de nouveaux terrains, que ces opérations immobilières avaient procédé d’une intention spéculative et, d’autre part, qu’ils n’apportaient aucun élément de nature à établir que ces habitations étaient, à la date de cession, leur résidence principale. En statuant ainsi, alors que l’administration fiscale n’avait ni remis en cause l’affectation à la résidence principale de certains des immeubles cédés ni invoqué l’abus de droit, la cour a commis une erreur de droit. » (Conseil d’État, 9ème chambre, 14/06/2023, N°461960)

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Collectivités : Le maire peut s’opposer au raccordement d’une construction irrégulièrement édifiée

 

Par un arrêt du 6 avril 2023, la cour administrative d’appel de Marseille est venue rappeler les conditions dans lesquelles un Maire peut refuser le raccordement définitif au réseau d’eaux usées d’un bâtiment édifié irrégulièrement sur le fondement de l’article L.111-2 du Code de l’urbanisme.

« 5. D’une part, aux termes de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme :  » Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n’a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions « .

6. Ces dispositions, qui présentent le caractère de mesures de police de l’urbanisme, destinées à assurer le respect des règles d’utilisation du sol, permettent à l’autorité administrative chargée de la délivrance des permis de construire de refuser le raccordement définitif aux réseaux d’eau, lesquels incluent les réseau d’assainissement en tant que réseau d’eaux usées, d’un bâtiment irrégulièrement édifié. » (CAA Marseille, 6 avril 2023, N° 20MA00172)

Cet arrêt s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence abondante qui reconnaît au maire le droit de refuser le raccordement définitif aux réseaux publics (d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone) des bâtiments dont la construction ou la transformation n’a pas été régulièrement édifiée.

L. 111-12 du Code de l’urbanisme dispose en effet que :

« Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n’a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions. »

Voir notamment en ce sens :

« 4. D’une part, M. B…ne conteste pas que l’habitation légère dont il a sollicité le raccordement au réseau d’électricité a été édifiée sans autorisation d’urbanisme. Il n’allègue, par ailleurs, pas que cette installation était, à la date à laquelle elle a été réalisée, dispensée de toute formalité. D’autre part, la circonstance que l’habitation considérée soit un  » mobil-home  » ne permet pas, pour autant, de la regarder comme une habitation légère de loisirs, au sens de la législation d’urbanisme, une telle habitation étant destinée à une occupation temporaire ou saisonnière à usage de loisirs et non à l’habitat permanent. Par suite, M. B…ne saurait utilement, pour soutenir que l’installation de son habitation a été régularisée, se prévaloir de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ainsi que de l’article L. 443-1 du code de l’urbanisme, relatif aux créations de terrains de camping et de parcs résidentiels de loisirs. Dans ces conditions, le maire de la commune de Pornichet a légalement pu, sur le fondement de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, s’opposer au raccordement définitif du bâtiment litigieux au réseau d’électricité. » (CAA de Nantes, 19 juillet 2019, n° 19NT00589)

Ou encore :

« 5. La décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme, un raccordement d’une construction à usage d’habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d’une ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constitue le respect des règles d’urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l’environnement, il appartient, dans chaque cas, à l’administration de s’assurer et au juge de vérifier que l’ingérence qui découle d’un refus de raccordement est, compte tenu de l’ensemble des données de l’espèce, proportionnée au but légitime poursuivi. » (CAA BORDEAUX, 22 octobre 2020, n°18BX04531)

 

La Cour administrative d’appel de Versailles est d’ailleurs allée au-delà en considérant que la demande de pose d’un nouveau compteur au sein d’un immeuble déjà raccordé doit être assimilée à une demande de raccordement.

« 6. En premier lieu, les requérants soutiennent que le local n° 109 était déjà raccordé à l’électricité au moment où ils ont effectué leur demande de pose d’un compteur individuel supplémentaire et que la commune ne pouvait, dès lors, se fonder sur les dispositions de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme pour leur opposer un refus de raccordement ayant de surcroît eu pour effet de leur couper l’électricité dans ce local. Toutefois, la pose d’un compteur individuel d’électricité, spécifique à un local inclus dans un ensemble de lots bénéficiant déjà d’un seul point de raccordement à l’électricité, doit être regardée comme un nouveau raccordement au sens de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, différent de celui relatif à cet ensemble de lots comprenant le local en cause. (Cour administrative d’appel, Versailles, 6e chambre, 7 Mars 2019 – n° 16VE02525).

 

Encore faut-il que la construction soit effectivement régulière et que la décision soit suffisamment motivée rappelle la Cour administrative de Marseille :

« 14. En premier lieu, d’une part, contrairement à ce que soutient la commune de Cadolive, la construction à raccorder de Mme D… et M. A… B…, dont il n’est pas contesté qu’elle a été autorisée par un permis de construire délivré en 2007, ne peut être regardée comme irrégulière du seul fait qu’une division parcellaire serait intervenue depuis. D’autre part, la commune n’apporte aucune précision pour étayer l’affirmation selon laquelle cette construction ne serait pas conforme au permis de construire. La commune ne pouvait, par suite, opposer les dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme pour s’opposer au raccordement.

15. En second lieu, la commune n’explicite pas le fondement juridique des autres motifs opposés au raccordement de la propriété de Mme D… et M. A… B… au réseau d’assainissement de la commune que ces derniers contestent dans leur requête introductive d’instance.

16. Ainsi, aucun des motifs invoqués par la commune de Cadolive dans l’arrêté en litige au regard des éléments produits devant la Cour et le tribunal administratif, n’est de nature à justifier l’opposition au raccordement du bâtiment en cause au réseau d’assainissement. » (CAA Marseille, 6 avril 2023, N° 20MA00172)

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Droit des collectivités : une personne publique peut se prévaloir de la prescription acquisitive

Pour la Cour de cassation « la propriété s’acquiert par la prescription qui est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession. Ces textes ne réservent pas aux seules personnes privées le bénéfice de ce mode d’acquisition qui répond à un motif d’intérêt général de sécurité juridique en faisant correspondre le droit de propriété à une situation de fait durable, caractérisée par une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire » (3e Civ., 17 juin 2011, pourvoi n° 11-40.014, Bull. 2011, III, n° 106).

Par un arrêt du 4 janvier 2023, la haute juridiction de l’ordre judiciaire a estimé qu’une collectivité territoriale peut parfaitement se prévaloir de ces dispositions pour revendiquer la propriété d’un bien nonobstant le fait que le Code général de la propriété des personnes publiques ne le prévoit pas expressément.

« 6. Le livre susvisé énumère des modes d’acquisition de la propriété des personnes publiques, sans exclure la possibilité pour celles-ci de l’acquérir par prescription.

7. Pour déclarer irrecevable l’action en revendication de la commune, l’arrêt retient que, même si le code civil ne distingue pas entre les personnes, le code général de la propriété des personnes publiques énumère de manière exhaustive et exclusive les modes d’acquisition des biens immobiliers et mobiliers par les personnes publiques, de sorte que, depuis son entrée en vigueur, la prescription acquisitive, qui n’y est pas mentionnée, ne peut plus être invoquée par une personne publique.

8. En statuant ainsi, alors que les personnes publiques peuvent acquérir par prescription, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cass, 4 janvier 2023, Pourvoi n° D 21-18.993)

 

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Domanialité : évolution du trait de côte et limite du domaine public

Le 28 février 2010, à l’occasion de la tempête XYNTHIA, un mur de soutènement et une falaise surplombant la plage des Nouelles – Saint-Laurent à Plérin se sont effondrés.

Après un chemin de croix procédural opposant l’association exploitante du site et son assureur la Cour d’appel de Caen a posé à la juridiction administrative les questions préjudicielles suivantes :

 » 1° dire si le mur effondré soutenant les terres appartenant à la société Altygo était incorporé au domaine public maritime à la date du 28 février 2010,

2° dire s’il l’a été par la suite et à quelle date,

3° dire si la falaise effondrée était incorporée au domaine public maritime à la date du 28 février 2010 et jusqu’à quel niveau,

4° dire si elle l’a été par la suite et à quelle date « .

Après avoir rappelé les termes de l’article L.2111-4 du Code général de la propriété des personnes publiques, par un arrêt du 13 juillet 2022, la Cour administrative d’appel de Nantes a répondu par la négative à l’ensemble des questions posées (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246).

Selon elle, ni le mur, ni la falaise ne sont, au jour de la lecture de l’arrêt, incorporés au domaine public.

Cet arrêt, qui s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence habituelle en ce qui concerne les limites du domaine public naturel, est l’occasion pour la Cour de préciser son acception du trait de côte et de son évolution.

Pour la Cour, au jour de la tempête, ni le mur, ni la falaise n’était incorporé au domaine public maritime :

« Sur le mur de soutien :

    1. En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment des constatations opérées par l’expert nommé par la juridiction judiciaire, que le mur litigieux, dont une partie s’est effondrée le 28 février 2010, a été construit au début du XXème siècle, probablement entre 1910 et 1921 à hauteur moindre que celle qu’il avait lors de son effondrement en février 2010. Ce mur a ensuite fait l’objet d’un rehaussement. Il résulte d’une photographie figurant dans les archives départementales, non datée mais dont il est admis qu’elle représente la situation en 1910, que le mur initial déjà présent était séparé de la plage par quelques arbres, cette surface boisée ne devant dès lors pas être recouverte à l’époque par les plus hautes mers. Il résulte également de l’instruction qu’en février 2010 comme aujourd’hui, le mur soutenant le terrain d’assiette du centre hélio-marin ne jouxte pas directement la plage des Nouelles mais en est séparé par une  » banquette  » en béton, implantée plus profondément que le mur dans le sous-sol. Le mur appartenant à l’association Altygo et cette banquette donnant sur la plage constituent deux ouvrages distincts. Il ne résulte pas de l’instruction que les plus hautes mers, en dehors de perturbations météorologiques exceptionnelles comme celle de la tempête  » Xynthia  » intervenue en février 2010, dépassaient cette banquette située à l’avant du mur litigieux. Par ailleurs, il résulte de l’instruction, notamment de la cartographie du trait de côte Histolitt, produite à l’appui de ses écritures par l’association Altygo et librement consultable sur le site internet du gouvernement  » geoportail « , que ce trait de côte, qui matérialise en l’état des connaissances la laisse des plus hautes mers dans le cas d’une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales, se situe en devant du mur litigieux et ne l’inclut aucunement. Dès lors, il ne résulte pas de l’instruction que la parcelle sur laquelle est implantée le mur litigieux était recouverte, en février 2010, par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni n’en avait été artificiellement soustraite. Il suit de là qu’en février 2010, date du sinistre en cause, le mur de soutien du terrain d’emprise du centre hélio-marin n’était pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime. (…)

Sur la falaise :

    1. En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment des constatations opérées par l’expert nommé par le juge judiciaire, que la partie de la falaise au nord du terrain de l’association Altygo, qui s’est effondrée en février 2010, était située à une dizaine de mètres au-dessus de la plage et en outre à l’arrière d’un ouvrage en plan incliné servant de digue. Il ne résulte dès lors pas de l’instruction, alors surtout que le domaine public maritime naturel ne comprend que le sol et le sous-sol recouvert par les plus hautes mers et non le surplomb de ceux-ci, qu’en février 2010 la falaise en cause aurait été recouverte par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni ne pouvait être regardée comme un lais ou relais de la mer. Dans ces conditions, à la date du sinistre, la falaise éboulée à proximité des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relevait pas du domaine public maritime.» (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246)

 Pour les juges nantais, aujourd’hui, la situation demeure inchangée nonobstant le fait qu’à l’occasion de conditions météorologiques exceptionnelles la mer atteint parfois la falaise et le mur :

« Sur le mur de soutien : (…)

    1. En second lieu, la seule circonstance, établie par une photographie accompagnant un constat d’huissier d’octobre 2021, que le flot de la marée haute atteint le bord de la banquette située en contrebas du mur litigieux et que des vagues peuvent atteindre le bas du mur sous l’effet du vent ne permet pas d’établir qu’à la date de lecture de l’arrêt, la ligne des plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ait reculé jusqu’au mur en cause. Il suit de là qu’à la date de lecture de l’arrêt, le mur de soutien du terrain d’emprise du centre hélio-marin n’est pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime.

Sur la falaise : (…)

    1. En second lieu, alors même que la falaise en cause est séparée de la plage par un ouvrage en plan incliné et que l’éboulement a pu avoir pour effet de reculer la falaise par rapport au trait de côte, il ne résulte aucunement de l’instruction qu’à la date de mise à disposition du présent arrêt, une partie de la falaise soit recouverte par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles. Il suit de là qu’à la date de prononcé de l’arrêt, la falaise au nord de la plage des Nouelles au niveau des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relève pas du domaine public maritime.» (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246)

En résumé, les perturbations météorologiques exceptionnelles n’influent pas juridiquement sur l’emplacement du trait de côte.

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Pouvoirs de police du Maire : la pose d’un nouveau compteur est-elle assimilable à une demande de branchement ?

Le maire est en principe tenu de refuser le raccordement définitif aux réseaux publics (d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone) des bâtiments dont la construction ou la transformation n’a pas été régulièrement édifiée.

L. 111-12 du Code de l’urbanisme dispose en effet que :

« Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n’a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions. »

Voir notamment en ce sens :

« 4. D’une part, M. B…ne conteste pas que l’habitation légère dont il a sollicité le raccordement au réseau d’électricité a été édifiée sans autorisation d’urbanisme. Il n’allègue, par ailleurs, pas que cette installation était, à la date à laquelle elle a été réalisée, dispensée de toute formalité. D’autre part, la circonstance que l’habitation considérée soit un  » mobil-home  » ne permet pas, pour autant, de la regarder comme une habitation légère de loisirs, au sens de la législation d’urbanisme, une telle habitation étant destinée à une occupation temporaire ou saisonnière à usage de loisirs et non à l’habitat permanent. Par suite, M. B…ne saurait utilement, pour soutenir que l’installation de son habitation a été régularisée, se prévaloir de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ainsi que de l’article L. 443-1 du code de l’urbanisme, relatif aux créations de terrains de camping et de parcs résidentiels de loisirs. Dans ces conditions, le maire de la commune de Pornichet a légalement pu, sur le fondement de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, s’opposer au raccordement définitif du bâtiment litigieux au réseau d’électricité. » (CAA de Nantes, 19 juillet 2019, n° 19NT00589)

Ou encore :

« 5. La décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme, un raccordement d’une construction à usage d’habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d’une ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constitue le respect des règles d’urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l’environnement, il appartient, dans chaque cas, à l’administration de s’assurer et au juge de vérifier que l’ingérence qui découle d’un refus de raccordement est, compte tenu de l’ensemble des données de l’espèce, proportionnée au but légitime poursuivi. » (CAA BORDEAUX, 22 octobre 2020, n°18BX04531)

Pour la Cour administrative d’appel de Versailles la demande de pose d’un nouveau compteur au sein d’un immeuble est déjà raccordé doit être assimilée à une demande de raccordement.

« 6. En premier lieu, les requérants soutiennent que le local n° 109 était déjà raccordé à l’électricité au moment où ils ont effectué leur demande de pose d’un compteur individuel supplémentaire et que la commune ne pouvait, dès lors, se fonder sur les dispositions de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme pour leur opposer un refus de raccordement ayant de surcroît eu pour effet de leur couper l’électricité dans ce local. Toutefois, la pose d’un compteur individuel d’électricité, spécifique à un local inclus dans un ensemble de lots bénéficiant déjà d’un seul point de raccordement à l’électricité, doit être regardée comme un nouveau raccordement au sens de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, différent de celui relatif à cet ensemble de lots comprenant le local en cause. (Cour administrative d’appel, Versailles, 6e chambre, 7 Mars 2019 – n° 16VE02525).

Jérôme MAUDET

Avocat