Contentieux administratif : règles d’indemnisation et de déplacement de l’ouvrage public mal implanté

Outre la réparation pécuniaire du préjudice, les tiers peuvent demander au juge d’enjoindre à la personne publique ou à son concessionnaire de déplacer l’ouvrage ou de procéder aux mesures qui s’imposent pour mettre un terme aux nuisances.

L’article L.911-1 du Code de justice administrative dispose en effet que :

« Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution.

 

La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure. »

Par un arrêt du 18 mars 2019, le Conseil d’Etat était venu préciser les conditions dans lesquelles le juge administratif peut faire usage de son pouvoir d’injonction pour ordonner le déplacement d’un ouvrage ou la mise en œuvre de mesures destinées à mettre fin au préjudice subi par les tiers. (Conseil d’État, 18/03/2019, 411462, Mentionné dans les tables du recueil Lebon)

Par un arrêt du 30 janvier 2024, la Cour Administrative d’appel est venue confirmer qu’un ouvrage même mal implanté n’a pas à être déplacé si ce déplacement présente une atteinte excessive à l’intérêt général.

 

En l’espèce, il s’agissait d’un transformateur appartenant à la société Enedis :

« 4. Lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l’implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l’administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l’écoulement du temps, de prendre en considération, d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

5. En premier lieu, d’une part, il résulte de l’instruction qu’à la suite de la résiliation par la société Nini du contrat de bail du 27 août 1964, le tribunal judiciaire de Nanterre a, par un jugement du 4 janvier 2021 devenu définitif, déclaré la société Enedis occupante sans droit ni titre depuis le 29 novembre 2017 du local de 12m² au sein duquel est implanté un poste de transformation électrique. D’autre part, si la société Enedis, en tant que concessionnaire de distribution de l’énergie électrique, a le pouvoir, en vertu de l’article L. 323-3 du code de l’énergie, de prendre l’initiative d’une procédure d’expropriation, il n’apparaît pas qu’elle ait effectivement envisagé d’y recourir. Il s’ensuit que le maintien du poste de transformation électrique au sein de l’immeuble du 99 avenue Achille Peretti constitue une emprise irrégulière sans que la régularisation de cette implantation irrégulière n’apparaisse envisageable en l’espèce.

6. En second lieu, il résulte de l’instruction que le transformateur en litige, qui fait partie du réseau électrique de Neuilly-sur-Seine, dont il n’est pas contesté par la société requérante qu’il est entièrement souterrain, est pleinement exploité et assure la desserte en électricité de 225 foyers et 59 locaux professionnels. Il résulte également de l’instruction que la suppression du poste de distribution  » Peretti  » en litige ne peut être compensée par la création d’un nouveau poste compte tenu de l’absence d’opportunité foncière publique, liée notamment à l’encombrement du sous-sol de la voirie par les réseaux de transport, ou d’opportunité foncière privée, à défaut de projet de nouvelle construction dans ce secteur. Sa suppression nécessiterait ainsi de basculer la puissance qu’il génère vers des postes de distribution voisins. Or les règles de l’art en matière de distribution de proximité, telles qu’elles résultent des prescriptions du réseau de distribution d’électricité  » Développement du réseau basse tension « , requièrent de raccorder une installation au poste de distribution le plus proche géographiquement, afin de minimiser les effets de chute de tension pour les usagers, ainsi qu’au cas d’espèce, les risques d’incidents. L’étude du 14 juin 2021 produite par Enedis, qui prend également en compte la configuration urbaine, identifie ainsi trois postes de distribution voisins susceptibles d’absorber la puissance qui résulterait de la suppression du poste de distribution en cause, à savoir les postes  » Saint Pierre 18 « ,  » Louis Philippe 9 « ,  » Orléans 9 « . Elle conclut toutefois, sans être utilement contestée par la société requérante, qu’il n’est pas possible de basculer la puissance vers les postes proches  » Louis Philippe 9  » et  » Orléans 9  » sans dépasser les limites techniques d’intensité de ces postes, ni vers le poste  » Saint Pierre 18  » en raison de l’impossibilité technique de créer de nouveaux départs depuis ce dernier. En outre, un tel basculement de puissance aurait pour conséquence une saturation des postes  » Louis Philippe 9  » et  » Orléans 9 « , ce qui empêcherait de répondre à d’éventuels besoins complémentaires en électricité à proximité. De surcroît, le fait que les postes seraient amenés en limite de capacité, à échéance de moins de dix ans, empêche de mobiliser ces postes existants pour faire face à un incident d’exploitation. Enfin, la société requérante se borne à alléguer qu’il n’est pas établi que d’autres postes voisins ne pourraient pas absorber la puissance correspondant au transformateur en litige, sans préciser les postes qui pourraient faire l’objet d’un redéploiement sans franchissement souterrain de voie.

7. D’autre part, le poste de transformation électrique en litige occupe un local d’environ 12m² situé au sous-sol de l’immeuble appartenant à la société Nini. Si cette société soutient que cette présence, de même que l’opposition d’Enedis à la fermeture du porche qui surplombe ce local dès lors que la trappe d’accès située au droit du local ne serait plus accessible directement et en permanence et n’assurerait plus la ventilation, elle n’établit pas qu’un projet de réaffectation à usage d’activités du reste de l’emprise du sous-sol et du porche serait impossible et la priverait de la possibilité de réhabiliter son bien. En outre, il ne résulte pas de l’instruction que l’implantation actuelle de l’ouvrage engendre des risques de sécurité particulier pour les occupants de l’immeuble, ni compte tenu de la configuration des lieux et de ce que l’accès au local est verrouillé, que les intrusions répétées dans le sous-sol seraient dues à la société Enedis. De plus, la société requérante ne justifie pas de l’existence des troubles sonores pour les occupants causés par l’ouvrage situé au sous-sol de l’immeuble. Ainsi, s’il est constant que le maintien de l’ouvrage empêche la réutilisation par la société requérante de 12m² de surface de sous-sol et celle d’une même superficie au-dessus de ce local, au niveau du porche, en raison de la présence d’une trappe qui doit demeurer directement accessible de façon permanente, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts privés en présence présentent néanmoins un caractère limité.

8. Au regard des inconvénients limités que la présence de l’ouvrage entraîne pour la société requérante, de l’absence de perspectives de relocalisation, et des conséquences qui résulteraient de la démolition du transformateur pour le service public de distribution d’électricité, il résulte de l’instruction que son déplacement entraînerait une atteinte excessive à l’intérêt général. Pour les mêmes motifs, un tel maintien n’est pas contraire à l’article 1er du protocole I de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il s’ensuit que les conclusions dirigées contre la décision refusant de faire droit au déplacement de l’ouvrage doivent être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d’injonction avec astreinte doivent également être rejetées. » (CAA VERSAILLES, 30 janvier 2024, N° 21VE03143)

Au plan indemnitaire, le juge tient classiquement compte des indemnités déjà versées.

« Sur les conclusions indemnitaires :

9. Dans le cas d’une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, l’est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété. Si la décision d’édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée porte atteinte au libre exercice de son droit de propriété par celle-ci, elle n’a, toutefois, pas pour effet l’extinction du droit de propriété sur cette parcelle. Par suite, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d’édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant de l’occupation irrégulière de cette parcelle et tenant compte de l’intérêt général qui justifie le maintien de cet ouvrage.

10. La société Enedis doit, conformément au point 7 du présent arrêt, réparer intégralement le préjudice direct et certain découlant de son occupation irrégulière de la propriété de la société Nini. Il ne résulte pas de l’instruction que la société subisse une privation définitive de la jouissance de ce bien, ni de sa qualité de propriétaire. Compte tenu de la nature et de l’état des locaux, situés en sous-sol, la valeur locative annuelle n’a, ni à être fixée par référence aux loyers de locaux d’activité à 1 000 euros/m² par an, ni par référence aux dispositions de l’article R. 332-16 du code de l’urbanisme à la somme de 106,71 euros/m². Il sera fait une juste appréciation de l’indemnisation du préjudice temporaire de jouissance subi par la société, compte tenu de la surface d’emprise du local de 12m² en sous-sol et des conséquences liées à la nécessité de maintenir une trappe directement et en permanence accessible au-dessus de ce local, au niveau du porche, en fixant l’indemnité d’occupation à la somme de 400 euros/m² soit 4 800 euros par année d’occupation irrégulière à compter de la réclamation préalable du 24 septembre 2018.

11. Toutefois, par un jugement du 4 janvier 2021, devenu définitif en l’absence d’appel, le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré la société Enedis occupante sans droit ni titre du local en litige après résiliation du bail par la SCI Nini et a condamné la société Enedis à verser à la SCI Nini une indemnité annuelle d’occupation de 3 000 euros par an. Eu égard à la finalité de cette indemnité d’occupation, qui a pour objet de réparer l’entier préjudice subi par le bailleur en contrepartie de l’occupation des lieux mais aussi en réparation de la privation de son bien, le juge administratif est tenu de prendre en compte cette condamnation qui a permis à la société requérante d’obtenir ainsi partiellement réparation de son préjudice indemnisable sur le même fondement que celui retenu dans le cadre du présent arrêt au point 10, pour la détermination du montant de la somme due par la société Enedis au titre des dommages et intérêts.

12. Il en résulte que la société Enedis doit donc être condamnée à verser à la société Nini une somme de 9 400 euros pour la période comprise entre le 24 septembre 2018 et la date du présent arrêt, puis la somme supplémentaire de 1 800 euros par an jusqu’à la libération totale des lieux occupés par le transformateur litigieux.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Nini est seulement fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 22 mars 2021 attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur ses conclusions indemnitaires du fait du maintien irrégulier du transformateur électrique et à obtenir la somme de 9 400 euros au titre de son préjudice subi au cours de la période comprise entre le 24 septembre 2018 et la date du présent arrêt, majorée d’une somme supplémentaire de 1 800 euros par an jusqu’à la libération du local occupé par ce transformateur. » (CAA VERSAILLES, 30 janvier 2024, N° 21VE03143)

Jérôme MAUDET

Avocat Associé

 

Domaine public : qui du maire ou du conseil municipal est compétent pour autoriser l’occupation ?

Par un arrêt du 21 décembre 2023, le Conseil d’Etat est venu rappeler les règles relatives à l’occupation du domaine public.

Schématiquement le Conseil d’Etat rappelle que le maire n’est compétent pour décider de la conclusion d’une convention d’occupation du domaine qu’à la condition qu’il ait reçu délégation de son conseil municipal.

Il est en revanche seul compétent pour retirer ou délivrer les autorisations unilatérales portant occupation du domaine public.

« 2. D’une part, aux termes de l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales  » Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. (…) « . Aux termes de l’article L. 2122-21 du même code :  » Sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, le maire est chargé, d’une manière générale, d’exécuter les décisions du conseil municipal et, en particulier : / 1° De conserver et d’administrer les propriétés de la commune et de faire, en conséquence, tous actes conservatoires de ses droits ; (…) « . Aux termes de l’article L. 2122-22 du même code :  » Le maire peut (…), par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / (…) 5° de décider de la conclusion et de la révision du louage de choses pour une durée n’excédant pas douze ans ; / (…) « . Enfin, selon l’article R. 2241-1 du même code :  » Les autorisations d’occupation ou d’utilisation du domaine public communal sont délivrées par le maire « .

3. D’autre part, l’article R. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques prévoit que  » l’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être consentie, à titre précaire et révocable, par la voie d’une décision unilatérale ou d’une convention « .

4. Il résulte de ces dispositions, d’une part, que le maire n’est compétent pour décider la conclusion de conventions d’occupation du domaine public que sur délégation du conseil municipal prise en application des dispositions précitées du 5° de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales et pour les conventions dont la durée n’excède pas douze ans et, d’autre part, que s’il appartient au conseil municipal de délibérer sur les conditions générales d’administration du domaine communal, le maire est seul compétent pour délivrer et retirer les autorisations unilatérales d’occuper temporairement ce domaine. » Conseil d’État, 21 décembre 2023, n°471189.

 

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Contentieux administratif : pas de prescription trentenaire pour les ouvrages publics mal implantés

Depuis le 29 janvier 2003 le Conseil d’Etat considère qu’il appartient au juge administratif de se prononcer sur la démolition d’un ouvrage public mal implanté en procédant à un bilan coûts-avantages :

 » Considérant que lorsque le juge administratif est saisi d’une demande d’exécution d’une décision juridictionnelle dont il résulte qu’un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’exécution de cette décision implique qu’il ordonne la démolition de cet ouvrage, de rechercher, d’abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible ; que, dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ; » (CE, 29 janvier 2003, n°245239)

Schématiquement le juge que ce soit pour ordonner la démolition ou indemniser le requérant :

  • vérifie si l’ouvrage est effectivement mal implanté
  • vérifie si une régularisation est possible
  • dans la négative prend en considération:
    • d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage,
    • d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général.

Par un arrêt du 27 septembre 2023, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions de prescription d’une action en démolition.

Selon les juges du Palais Royal au regard des spécificités de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni l’article 2227 du code civil, ni aucune autre disposition, ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action :

« 3. Lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l’implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l’administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l’écoulement du temps, de prendre en considération, d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

4. Aux termes de l’article 2227 du code civil : « () les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Compte tenu des spécificités, rappelées au point précédent, de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. L’invocation de ces dispositions du code civil au soutien de l’exception de prescription trentenaire opposée par la société Enedis était donc inopérante. Ce motif devant être substitué au motif par lequel l’arrêt attaqué juge non fondée cette exception, il y a lieu, par suite, d’écarter les moyens de cassation dirigés contre le motif retenu par la cour administrative d’appel de Versailles. » (CE, 27 septembre 2023, n°466321)

En dépit de cette évolution, le juge doit tenir compte du temps écoulé pour apprécier l’opportunité d’ordonner le déplacement de l’ouvrage et le quantum de l’indemnisation :

« 5. Si, ainsi que l’a relevé la cour pour caractériser un trouble de jouissance résultant notamment de l’inconvénient visuel lié à la présence des ouvrages électriques en cause, la ligne électrique surplombe la voie d’accès à la maison d’habitation de Mmes D et B et longe sa façade et son entrée à une distance inférieure à quatre mètres et si l’un des pylônes soutenant cette ligne est implanté sur leur propriété, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en dépit de l’ancienneté de la présence de ces ouvrages, les intéressées n’ont pas sollicité de mesures tendant à leur déplacement avant que la commune de Villers-en-Arthies ne décide de procéder à l’enfouissement de certaines lignes électriques par délibération du 7 mars 2014 de son conseil municipal sans intégrer la ligne litigieuse dans ce projet. Par ailleurs, si la cour s’est également fondée sur le refus opposé par le maire de Villers-en-Arthies au projet de construction d’une piscine sur leur propriété au motif des risques liés au surplomb par la ligne électrique, il ressort de ses constations que la demande de déclaration préalable de travaux n’a été présentée que postérieurement aux premières démarches entreprises afin d’obtenir le déplacement de la ligne électrique. En outre, si la cour a retenu l’existence d’un inconvénient pour l’intérêt public qui s’attache à la protection de l’église Saint-Martin, bâtiment inscrit au titre de la législation sur les monuments historiques, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la commune n’a pas inclus les ouvrages litigieux dans son programme d’enfouissement des lignes électriques et que ceux-ci ne sont pas situés à proximité immédiate de l’édifice en cause. Dans ces conditions, en estimant qu’eu égard aux inconvénients causés à Mmes D et B par la présence des ouvrages sur leur propriété, leur démolition ne portait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, malgré les coûts liés à l’enfouissement de la ligne et à la dépose du pylône et malgré les risques d’interruption du service de distribution d’électricité durant les travaux et alors que le temps écoulé depuis l’acquisition de la propriété supportant les ouvrages en cause était de nature à limiter l’importance des inconvénients allégués, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce. » (CE, 27 septembre 2023, n°466321, précité)

Jérôme Maudet

Avocat associé

 

Collectivités : Quel recours contre le non-renouvellement d’un contrat portant occupation du domaine public ?

En cas de non renouvellement, le titulaire d’une convention d’occupation du domaine public portuaire lui permettant d’amarrer son bateau peut-il demander au juge du contrat la reprise des relations contractuelles ?

Par un arrêt du 13 juillet 2022, le Conseil d’Etat a considéré que le recours en contestation d’une mesure de résiliation du contrat ne s’applique pas aux mesures de non-renouvellement d’un contrat portant occupation du domaine public arrivé à échéance :

« 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B… a conclu avec la commune de Sanary-sur-Mer une convention d’occupation temporaire du domaine public portuaire lui permettant de bénéficier, pour l’année 2016, d’un poste d’amarrage dans le port de cette commune pour un bateau dont il est copropriétaire avec M. D…. Par un courrier du 7 octobre 2016, la commune de Sanary-sur-Mer a informé M. B… de ce qu’elle ne serait pas en mesure de renouveler pour 2017 ce contrat arrivant à échéance le 31 décembre 2016. Par un jugement du 16 mai 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de M. B… et de M. D… tendant à l’annulation de cette décision. La commune de Sanary-sur-Mer se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 17 septembre 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, faisant droit à l’appel de M. B…, a annulé la décision attaquée.

2. Le juge du contrat ne peut, en principe, lorsqu’il est saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat, que rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Cette exception relative aux décisions de résiliation ne s’étend pas aux décisions de la personne publique refusant de faire application de stipulations du contrat relatives à son renouvellement. Il s’agit alors de mesures d’exécution du contrat qui n’ont ni pour objet, ni pour effet de mettre unilatéralement un terme à une convention en cours. » (Conseil d’Etat, 13 juillet 2022, n°458488)

Autrement dit, le non-renouvellement ne pouvant pas être s’assimilé à une mesure de résiliation, le juge du contrat doit seulement rechercher si le non-renouvellement est susceptible d’ouvrir droit à indemnité.

Jérôme MAUDET

Avocat

Domanialité : évolution du trait de côte et limite du domaine public

Le 28 février 2010, à l’occasion de la tempête XYNTHIA, un mur de soutènement et une falaise surplombant la plage des Nouelles – Saint-Laurent à Plérin se sont effondrés.

Après un chemin de croix procédural opposant l’association exploitante du site et son assureur la Cour d’appel de Caen a posé à la juridiction administrative les questions préjudicielles suivantes :

 » 1° dire si le mur effondré soutenant les terres appartenant à la société Altygo était incorporé au domaine public maritime à la date du 28 février 2010,

2° dire s’il l’a été par la suite et à quelle date,

3° dire si la falaise effondrée était incorporée au domaine public maritime à la date du 28 février 2010 et jusqu’à quel niveau,

4° dire si elle l’a été par la suite et à quelle date « .

Après avoir rappelé les termes de l’article L.2111-4 du Code général de la propriété des personnes publiques, par un arrêt du 13 juillet 2022, la Cour administrative d’appel de Nantes a répondu par la négative à l’ensemble des questions posées (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246).

Selon elle, ni le mur, ni la falaise ne sont, au jour de la lecture de l’arrêt, incorporés au domaine public.

Cet arrêt, qui s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence habituelle en ce qui concerne les limites du domaine public naturel, est l’occasion pour la Cour de préciser son acception du trait de côte et de son évolution.

Pour la Cour, au jour de la tempête, ni le mur, ni la falaise n’était incorporé au domaine public maritime :

« Sur le mur de soutien :

    1. En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment des constatations opérées par l’expert nommé par la juridiction judiciaire, que le mur litigieux, dont une partie s’est effondrée le 28 février 2010, a été construit au début du XXème siècle, probablement entre 1910 et 1921 à hauteur moindre que celle qu’il avait lors de son effondrement en février 2010. Ce mur a ensuite fait l’objet d’un rehaussement. Il résulte d’une photographie figurant dans les archives départementales, non datée mais dont il est admis qu’elle représente la situation en 1910, que le mur initial déjà présent était séparé de la plage par quelques arbres, cette surface boisée ne devant dès lors pas être recouverte à l’époque par les plus hautes mers. Il résulte également de l’instruction qu’en février 2010 comme aujourd’hui, le mur soutenant le terrain d’assiette du centre hélio-marin ne jouxte pas directement la plage des Nouelles mais en est séparé par une  » banquette  » en béton, implantée plus profondément que le mur dans le sous-sol. Le mur appartenant à l’association Altygo et cette banquette donnant sur la plage constituent deux ouvrages distincts. Il ne résulte pas de l’instruction que les plus hautes mers, en dehors de perturbations météorologiques exceptionnelles comme celle de la tempête  » Xynthia  » intervenue en février 2010, dépassaient cette banquette située à l’avant du mur litigieux. Par ailleurs, il résulte de l’instruction, notamment de la cartographie du trait de côte Histolitt, produite à l’appui de ses écritures par l’association Altygo et librement consultable sur le site internet du gouvernement  » geoportail « , que ce trait de côte, qui matérialise en l’état des connaissances la laisse des plus hautes mers dans le cas d’une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales, se situe en devant du mur litigieux et ne l’inclut aucunement. Dès lors, il ne résulte pas de l’instruction que la parcelle sur laquelle est implantée le mur litigieux était recouverte, en février 2010, par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni n’en avait été artificiellement soustraite. Il suit de là qu’en février 2010, date du sinistre en cause, le mur de soutien du terrain d’emprise du centre hélio-marin n’était pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime. (…)

Sur la falaise :

    1. En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment des constatations opérées par l’expert nommé par le juge judiciaire, que la partie de la falaise au nord du terrain de l’association Altygo, qui s’est effondrée en février 2010, était située à une dizaine de mètres au-dessus de la plage et en outre à l’arrière d’un ouvrage en plan incliné servant de digue. Il ne résulte dès lors pas de l’instruction, alors surtout que le domaine public maritime naturel ne comprend que le sol et le sous-sol recouvert par les plus hautes mers et non le surplomb de ceux-ci, qu’en février 2010 la falaise en cause aurait été recouverte par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni ne pouvait être regardée comme un lais ou relais de la mer. Dans ces conditions, à la date du sinistre, la falaise éboulée à proximité des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relevait pas du domaine public maritime.» (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246)

 Pour les juges nantais, aujourd’hui, la situation demeure inchangée nonobstant le fait qu’à l’occasion de conditions météorologiques exceptionnelles la mer atteint parfois la falaise et le mur :

« Sur le mur de soutien : (…)

    1. En second lieu, la seule circonstance, établie par une photographie accompagnant un constat d’huissier d’octobre 2021, que le flot de la marée haute atteint le bord de la banquette située en contrebas du mur litigieux et que des vagues peuvent atteindre le bas du mur sous l’effet du vent ne permet pas d’établir qu’à la date de lecture de l’arrêt, la ligne des plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ait reculé jusqu’au mur en cause. Il suit de là qu’à la date de lecture de l’arrêt, le mur de soutien du terrain d’emprise du centre hélio-marin n’est pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime.

Sur la falaise : (…)

    1. En second lieu, alors même que la falaise en cause est séparée de la plage par un ouvrage en plan incliné et que l’éboulement a pu avoir pour effet de reculer la falaise par rapport au trait de côte, il ne résulte aucunement de l’instruction qu’à la date de mise à disposition du présent arrêt, une partie de la falaise soit recouverte par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles. Il suit de là qu’à la date de prononcé de l’arrêt, la falaise au nord de la plage des Nouelles au niveau des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relève pas du domaine public maritime.» (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246)

En résumé, les perturbations météorologiques exceptionnelles n’influent pas juridiquement sur l’emplacement du trait de côte.

Jérôme MAUDET

Avocat associé

Obligation des 1 607 heures et temps de travail des agents territoriaux : gare à l’injonction

1. Il ressort des dispositions de l’alinéa 1er du I de l’article 47 de la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique que :

« I.- Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au premier alinéa de l’article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu’au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d’un délai d’un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir, dans les conditions fixées à l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus tard le 1er janvier suivant leur définition ».

 

Cet article est utilement complété par les dispositions de l’article 1er du décret n°2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature selon lesquelles :

« La durée du travail effectif est fixée à trente-cinq heures par semaine dans les services et établissements publics administratifs de l’Etat ainsi que dans les établissements publics locaux d’enseignement.

Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d’une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d’être effectuées.

Cette durée annuelle peut être réduite, par arrêté du ministre intéressé, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget, pris après avis du comité technique ministériel, et le cas échéant du comité d’hygiène et de sécurité, pour tenir compte des sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent, et notamment en cas de travail de nuit, de travail le dimanche, de travail en horaires décalés, de travail en équipes, de modulation importante du cycle de travail, ou de travaux pénibles ou dangereux ».

Cette disposition a été rendue applicable à la fonction publique territoriale par l’article 1er du décret n°2001-623 du 12 juillet 2001 pris pour l’application de l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale aux termes duquel :

« Les règles relatives à la définition, à la durée et à l’aménagement du temps de travail applicables aux agents des collectivités territoriales et des établissements publics en relevant sont déterminées dans les conditions prévues par le décret du 25 août 2000 susvisé sous réserve des dispositions suivantes ».

La combinaison de ces dispositions obligeait les collectivités territoriales à définir les règles relatives au temps de travail de leurs agents au plus tard le 1er janvier 2022.

Un mois après cette échéance, l’absence d’exécution de cette obligation légale a fait l’objet d’une instruction attentive de la juridiction administrative saisie par le représentant de l’Etat ; obligeant les collectivités territoriales à adopter une délibération en ce sens.

 

2. Aux termes de cinq ordonnances en date du 31 janvier 2022 (2200066, 2200082, 2200117, 2200159, 2200141), le juge des référés près le tribunal administratif de Montreuil a en effet décidé d’enjoindre aux maires des cinq communes de Seine-Saint-Denis concernées « dans un délai de quarante jours à compter de la notification de la présente ordonnance, de veiller à l’adoption, à titre provisoire, de la délibération ou de tout élément sur le temps de travail des agents de la commune en application de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 et de les transmettre au préfet de la Seine Saint Denis pour l’exercice du contrôle de légalité».

Ces décisions font donc droit aux cinq demandes de suspension déposés par le Préfet de la Seine-Saint-Denis sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 554-1 du code de justice administrative et L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales.

 

3. Pour parvenir à cette solution commune à cinq collectivités, le juge des référés près le tribunal administratif de Montreuil a, dans un premier temps, accompli un travail d’identification précise de la décision contestée par le Préfet de la Seine-Saint-Denis.

Ce dernier se bornait en effet à ne solliciter que la suspension de l’exécution des décisions des maires des collectivités visées refusant de lui transmettre les délibérations relatives au temps de travail et fixant les cycles de travail applicables aux agents des collectivités.

Afin de justifier de la recevabilité des demandes présentées devant le juge des référés, ce dernier a fait œuvre de pédagogie en raisonnant en plusieurs temps :

  • il a d’abord repris l’historique des échanges effectués entre le Préfet et les communes concernées ;
  • pour indiquer que les réponses apportées devaient s’analyser comme des décisions « de refus d’instituer dans les délais le nouveau dispositif du temps de travail prévu par la loi et de transmettre ainsi les documents réclamés au titre du contrôle de légalité» ;
  • et ainsi justifier la recevabilité du recours du Préfet en ce que celui-ci « a nécessairement entendu demander également la suspension de la décision refusant de prendre une délibération, la carence persistante de la commune à transmettre les éléments demandés révélant en outre (…) le refus d’adopter la délibération sollicitée».

La recevabilité des demandes de suspension déposées par le Préfet de Seine-Saint-Denis établie, il revenait alors au juge des référés d’apprécier si « l’un des moyens invoqués paraissait, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué » au sens des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales.

 

4. A l’issue d’une motivation succincte fondée sur les dispositions de l’article 1er du décret du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature, le juge des référés a ordonné la suspension des décisions contestées « jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité».

Il a en effet retenu que

« En l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que la commune ne saurait se soustraire à l’obligation légale, créée par l’article 47 de la loi précitée, de définir les règles du temps de travail de ses agents dans les délais qu’elle fixe est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus attaquée ».

Conformément aux dispositions de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative aux termes notamment desquelles la juridiction saisie prescrit – lorsqu’elle est saisie de conclusions en ce sens et que sa décision implique que la collectivité en cause prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé – « cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ».

Tel est le cas des cinq ordonnances rendues par le juge des référés lequel a :

  • constaté que « la présente décision implique nécessairement qu’il soit procédé à l’adoption, provisoirement, de la délibération ou de tout élément sur le temps de travail des agents de la commune en application de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 et à sa transmission au préfet de la Seine-Saint-Denis pour l’exercice du contrôle de légalité» ;
  • Pour enjoindre les communes concernées « dans un délai de quarante jours à compter de la notification de la présente ordonnance, de veiller à l’adoption, provisoirement, de la délibération ou de tout élément sur le temps de travail des agents de la commune en application de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 et de les transmettre au préfet de la Seine-Saint-Denis au titre du contrôle de légalité».

Il est toutefois à noter que cette injonction n’est assortie d’aucune astreinte laquelle était pourtant sollicitée par le Préfet de Seine-Saint-Denis dans des conditions parfaitement disproportionnée à savoir une astreinte mensuelle de 1 000 € par agent communal.

 

5. Au-delà des cas d’espèce, ces cinq ordonnances doivent alerter les collectivités n’ayant pas encore adopté de délibération mettant en conformité les règles sur le temps de travail des agents avec les dispositions de l’article 47 de la loi n°2019-828 du 6 août 2019.

La motivation retenue par le juge des référés près le tribunal administratif de Montreuil, pour rapide qu’elle soit sur le fond, ne laisse en effet que peu de doutes sur la tendance jurisprudentielle à venir à l’égard des collectivités n’ayant pas adopté une telle délibération.

Il sera toutefois rappelé que si la mise en place des 1 607 heures (journée de solidarité incluse) oblige les collectivités à ne plus maintenir les congés accordés réduisant la durée du temps de travail effectif sans base légale ou réglementaire, cette circonstance n’exclut pas la possibilité de réduire la durée annuelle de travail pour prendre en compte les sujétions liées à la nature des missions ; sous réserve que cette réduction soit dûment motivée par la délibération de l’organe délibérant.

En ce sens, l’article 2 du décret n°2001-623 du 12 juillet 2001 pris pour l’application de l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale dispose que :

« L’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement peut, après avis du comité technique compétent, réduire la durée annuelle de travail servant de base au décompte du temps de travail défini au deuxième alinéa de l’article 1er du décret du 25 août 2000 susvisé pour tenir compte de sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent, et notamment en cas de travail de nuit, de travail le dimanche, de travail en horaires décalés, de travail en équipes, de modulation importante du cycle de travail ou de travaux pénibles ou dangereux ».

 

La Cour administrative d’appel de Nantes, combinant l’obligation légale des 1 607 heures et la possibilité d’une réduction de la durée annuelle du travail pour en prendre en compte les sujétions liées à la nature des missions, juge ainsi que :

« 4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la fixation de la durée et de l’aménagement du temps de travail dans la fonction publique territoriale doit s’effectuer sur la base d’une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures, laquelle constitue à la fois un plancher et un plafond pour 35 heures de travail par semaine compte tenu des 104 jours de repos hebdomadaire, des 25 jours de congés annuels prévus par le décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 et d’une moyenne annuelle de 8 jours fériés correspondant à des jours ouvrés. Cette durée annuelle de travail peut toutefois être réduite par décision expresse de l’organe délibérant de la collectivité et après avis du comité technique paritaire compétent pour tenir compte des sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent » (C.A.A. Nantes, 23 avril 2019, n°18NT00781).

Il importe donc aux collectivités et à leurs organes exécutants de veiller à l’adoption d’une telle délibération pour éviter qu’il ne leur soit enjoint d’y procéder.

 

Louis-Marie Le Rouzic

Avocat

Vie du cabinet : formation des élus et des agents sur les procédures d’expulsion

Louis-Marie LE ROUZIC animait mardi 16 mars une formation (en présentiel !!) destinée aux élus et agents de plusieurs collectivités sur le thème :

« Occupation illégale du domaine appartenant à une collectivité et procédures contentieuses d’expulsion ».

Au programme de la matinée :

  • La constatation de l’occupation
  • La contestation de l’occupation
  • La cessation de l’occupation

Merci aux participants pour la qualité de leur écoute et des échanges.

Transats et parasols : le Conseil d’Etat se penche sur l’utilisation privative du domaine public maritime

Par un arrêt du 12 mars 2021, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions d’utilisation du domaine public maritime.

Selon les juges du palais royal, l’installation de transats et de parasols n’est pas constitutive d’une occupation privative du domaine public si les utilisateurs les installent eux-mêmes pour la seule durée de leur présence sur la plage et les retirent après utilisation :

« 4. (…) l’installation et l’utilisation à titre précaire et temporaire d’accessoires de plage par les piétons n’excèdent pas le droit d’usage qui est reconnu à tous sur la dépendance du domaine public maritime qu’est la plage, en vertu des dispositions combinées des articles L. 2122-1, L. 2124-4 du code général de la propriété des personnes publiques et de l’article L. 321-9 du code de l’environnement, quand bien même ce matériel ne serait pas la propriété des usagers concernés et aurait été mis à leur disposition par des tiers dans l’exercice d’une activité commerciale, dès lors qu’il est utilisé sous leur responsabilité, pour la seule durée de leur présence sur la plage et qu’il est retiré par leurs soins après utilisation. »  (CE, 12 mars 2021, n°443392)

La circonstance qu’ils ne soient pas propriétaires des parasols et transats est sans influence.

A l’inverse si les biens mobiliers sont installés par une société pour le compte de ses clients, l’existence d’une occupation privative du domaine public est caractérisée :

« 5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu’à la date à laquelle il a statué, la société SHEP mettait à la disposition exclusive de sa clientèle des chaises longues et des parasols destinés à être installés, pendant la journée, sur la plage à proximité immédiate de l’établissement qu’elle exploite. En retenant, pour juger que la condition d’utilité à laquelle est subordonnée une mesure d’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public était satisfaite, que l’installation, même à titre temporaire, de ces biens mobiliers sur la plage, eu égard à leurs caractéristiques, était constitutive d’une occupation privative du domaine public maritime par la société, en lien direct avec son activité commerciale, alors qu’il n’était pas établi que ses clients les installeraient eux-mêmes pour la seule durée de leur présence sur la plage et les retiraient après utilisation, le juge des référés du tribunal administratif s’est livré à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation et n’a pas commis d’erreur de droit. »

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Définition du domaine maritime naturel : l’arrêté du Préfet est purement déclaratif

Aux termes de l’article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques :

 » Le domaine public maritime naturel de L’État comprend : 

1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer.

Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu’elle couvre et découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles;

2° Le sol et le sous-sol des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer ; 

3° Les lais et relais de la mer :

a) Qui faisaient partie du domaine privé de l’État à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ;

b) Constitués à compter du 1er décembre 1963 (…) « .

Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que le domaine public maritime naturel ne s’étend pas à l’estran éventuellement constaté à l’occasion de perturbations météorologiques exceptionnelles sur les rives des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer.

L’article L. 2111-5 du même code dispose pour sa part que :

 » Les limites du rivage sont constatées par l’Etat en fonction des observations opérées sur les lieux à délimiter ou des informations fournies par des procédés scientifiques.

Le projet de délimitation du rivage est soumis à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement.

L’acte administratif portant délimitation du rivage est publié et notifié aux riverains. Les revendications de propriété sur les portions de rivage ainsi délimitées se prescrivent par dix ans à dater de la publication. Le recours contentieux à l’encontre de l’acte de délimitation suspend ce délai. « .

L’article R. 2111-5 de ce code dispose quant à lui que :

 » La procédure de délimitation du rivage de la mer, des lais et relais de la mer et des limites transversales de la mer à l’embouchure des fleuves et rivières est conduite, sous l’autorité du préfet, par le service de l’État chargé du domaine public maritime. (…) « .

Enfin, l’article R. 2111-11 de ce code dispose que :

 » La délimitation est constatée par arrêté préfectoral. (…) « .

Par un arrêt du 22 octobre 2020, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venue préciser que l’arrêté préfectoral délimitant le domaine public maritime n’est pas intangible puisqu’il se borne à constater à un instant précis les limites du rivage.

Selon la Cour il est donc possible de remettre en cause cet arrêté qui est purement déclaratif en rapportant la preuve que les limites du rivage de la mer sont différentes de celles constatées par une telle décision.

« 9. La commune a produit en cause d’appel un arrêté du préfet des Landes du 22 novembre 1982 portant délimitation du domaine public maritime autour du lac d’Hossegor auquel est annexé un plan faisant apparaître que les bâtiments exploités jusqu’alors par M. G… et la plage Blanche du lac d’Hossegor ne font pas partie du domaine public maritime. Cet arrêté est toutefois un acte déclaratif qui se borne à constater les limites du rivage de la mer, telles qu’elles résultent des phénomènes naturels observés. Ses énonciations ne font ainsi pas obstacle à ce que soit apportée la preuve que les parcelles en cause sont ou non comprises dans les limites du domaine public maritime, telles qu’elles sont définies par ces phénomènes naturels.

10. En l’espèce, il résulte de l’instruction que l’étang d’Hossegor est un étang salé, en communication directe, naturelle et permanente avec l’océan Atlantique. L’estran de cet étang ne saurait, en vertu des dispositions précitées au point 7 ci-dessus, constituer une dépendance du domaine public maritime naturel de l’État. Il ne constitue pas davantage un lais ou relais de la mer. La circonstance que le terrain en cause et l’établissement jusqu’alors exploité par M. G… seraient ordinairement atteints par le plus haut flot, ce qui n’est d’ailleurs pas établi par les documents émanant tant des services de la préfecture que de ceux de la commune que le requérant produit à l’instance, est ainsi sans incidence sur la consistance du domaine public maritime naturel de l’État. Par suite, l’emplacement en cause étant situé sur le domaine public communal et non sur le domaine public maritime naturel de l’État, le moyen tiré de ce que la commune de Soorts-Hossegor ne serait pas compétente pour autoriser temporairement l’occupation de son domaine public doit être écarté. » » (Cour administrative d’appel de Bordeaux – 1ère chambre, 22 octobre 2020 / n° 18BX01379)

Jérôme MAUDET

Avocat