Articles

Collectivités : conditions de retrait ou d’abrogation d’une délibération autorisant une vente

Malgré l’existence d’une délibération du Conseil municipal autorisant le maire ou son adjoint à signer tous les documents et actes nécessaires à l’achat, il est possible pour la collectivité de ne pas aller au bout de la procédure.

Il ressort des dispositions de l’article L. 2122-21 du Code général des collectivités territoriales que

« Sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, le maire est chargé, d’une manière générale, d’exécuter les décisions du conseil municipal et, en particulier : (…)

De passer dans les mêmes formes les actes de vente, échange, partage, acceptation de dons ou legs, acquisition, transaction, lorsque ces actes ont été autorisés conformément aux dispositions du présent code ; »

Dès lors, il revient au maire d’exécuter la délibération du conseil municipal une fois que celle-ci a été votée.

Cette obligation est toutefois soumise au caractère préparatoire ou non de la délibération en cause.

A titre liminaire, il est donc important de savoir si la délibération constitue un document préparatoire à l’acquisition des parcelles visées.

Si tel est le cas, elle ne sera pas créatrice de droit et pourra être abrogée sans condition particulière.

A l’inverse, si, en raison de sa précision, elle ne peut pas être raisonnablement considérée comme un simple document préparatoire, elle créera des droits au profit du vendeur.

Son retrait ne sera donc possible qu’à certaines conditions.

En effet, la Cour administrative d’appel de Marseille a considéré que :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la suite de la demande de la société Rom par courrier du 22 novembre 2007, le conseil municipal de la COMMUNE DE FONT-ROMEU-ODEILLO-VIA a décidé par délibération du 23 janvier 2008, d’une part, de valider le principe de la vente à M. , en sa qualité de représentant de la société Rom, d’un terrain d’une surface de 758 m², situé sur la parcelle AM n° 25 d’une surface totale de 19 920 m², appartenant au domaine privé de la commune, tel que matérialisé sur un plan annexé à la délibération, après évaluation du service des domaines par courrier du 18 janvier 2008 dans une fourchette allant de 15 à 40 euros le m² , pour un prix fixé en accord avec le pétitionnaire d’un montant de 30 320 euros, et, d’autre part, d’autoriser Monsieur le maire à signer tous actes dont les frais et émoluments seront à la charge exclusive de l’acquéreur ; que cette délibération, prise en accord avec l’acquéreur, définit précisément la chose et le prix, n’est subordonnée à aucune condition et autorise le maire à signer tous les actes nécessaires à sa mise en oeuvre ; que, dans ces conditions, cette délibération ne constitue pas une simple mesure préparatoire mais a créé des droits au profit de la société Rom, alors même qu’elle est rédigée au conditionnel lorsqu’elle relate le rapport fait au conseil municipal, qu’elle n’est pas accompagnée d’un document d’arpentage et qu’elle ne constitue pas une promesse synallagmatique de vente

Considérant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ; que, par suite, les seules circonstances, retenues par la délibération contestée du 22 juillet 2008 portant retrait de la délibération du 23 janvier 2008, tirées, d’une part, de ce que cette dernière délibération n’avait fait l’objet d’aucun commencement d’exécution, aucun acte n’ayant été signé, et, d’autre part, de ce que le nouveau conseil municipal souhaitait conserver la maîtrise foncière des terrains situés dans la zone concernée proche du centre-ville et par voie de conséquence ne souhaitait céder aucun terrain dont la commune avait la pleine propriété, ne sont pas de nature à justifier légalement le retrait de la délibération initiale » (C.A.A. Marseille, 24 janvier 2011, n°10MA00109)

Dans un telle hypothèse, si la collectivité souhaite revenir sur le processus d’acquisition lancé par la délibération, il reviendra au conseil municipal de le retirer ou de l’abroger suivant les conditions fixées par le Code des relations entre le public et l’administration et par la jurisprudence.

Ce formalisme est décisif afin de réduire, autant que faire se peut, les risques d’engagement de responsabilité de la Commune.

Schématiquement, la commune ne peut abroger ou retirer une décision que dans trois hypothèses :

  • LE DELAI DE QUATRE MOIS

Aux termes de l’article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration :

« L’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision »

  • L’EXISTENCE D’UNE FRAUDE

La seconde condition ressort de la jurisprudence du Conseil d’Etat en date du 30 mars 2016 laquelle dégage un principe général du droit selon lequel :

« Une décision administrative obtenue par fraude ne crée pas de droits au profit de son titulaire et peut être retirée à tout moment » (C.E., 30 mars 2016, n°395702).

  • LA DEMANDE DU BENEFICIAIRE

Enfin, il ressort des dispositions de l’article L. 242-4 du Code des relations entre le public et l’administration que :

« Sur demande du bénéficiaire de la décision, l’administration peut, selon le cas et sans condition de délai, abroger ou retirer une décision créatrice de droits, même légale, si son retrait ou son abrogation n’est pas susceptible de porter atteinte aux droits des tiers et s’il s’agit de la remplacer par une décision plus favorable au bénéficiaire ».

Le risque contentieux est important puisque la juridiction éventuellement saisie pourrait également considérer que la vente étant parfaite, la collectivité n’était donc pas en mesure de renoncer à la vente:

« 6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le conseil municipal de Saint-Amand-les-Eaux ne pouvait légalement à la date à laquelle il a statué par ses deux délibérations du 30 juin 2011, ni  » annuler  » la délibération du 21 décembre 2006 par laquelle il avait exprimé son accord sur la demande d’acquisition des parcelles litigieuses formée par la SARL Bowling du Hainaut au prix que celle-ci proposait ni, par voie de conséquence, dès lors que la commune n’en avait plus la propriété, décider de céder ces mêmes parcelles à la société Cases Investissements. Dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, la SARL Bowling du Hainaut et la SARL Bowling de Saint-Amand-les-Eaux sont fondées à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté leurs conclusions tendant à l’annulation des deux délibérations du 30 juin 2011 du conseil municipal de Saint-Amand-les-Eaux. » (CE, 15 mars 2017, n°393407)

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Marchés publics : motivation de l’abandon de la mise en concurrence

A tout moment avant la signature du marché, le pouvoir adjudicateur peut décider de déclarer celui-ci sans suite.

Les motifs évoqués par la collectivité pour déclarer une consultation sans suite peuvent être de natures diverses (économique, juridique ou technique).

Ils doivent reposer sur des considérations d’intérêt général et ne peuvent bien évidemment pas être destinés à contourner les règles de la commande publique.

Le juge administratif sanctionne en effet pour détournement de procédure la décision de ne pas donner suite à un appel d’offres qui était motivée par le seul but d’évincer le candidat retenu par la commission d’appel d’offres.

 

L’incohérence d’une offre présentée par un candidat dont se prévalait la personne publique ne constituait en réalité pas un motif d’intérêt général et aurait dû la conduire à juger l’offre inacceptable (CE, 18 mars 2005, Société Cylcergie, n° 238752).

Il a notamment été jugé que constitue un motif d’intérêt général les incertitudes affectant la consultation des entreprises.

Ces « incertitudes » peuvent résider dans des irrégularités potentielles pesant sur la procédure.

Voir par exemple :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que la procédure d’appel d’offres n’a pas été menée à son terme au motif que la commission d’appel d’offres avait illégalement scindé les deux lots en les attribuant à trois candidats ; que, compte tenu du caractère irrégulier de l’attribution du marché, c’est à bon droit et pour un motif d’intérêt général que la commune d’Athis-Mons a décidé de ne pas attribuer les marchés en cause ;

 

Considérant que, contrairement à ce que soutient le CABINET MPC AVOCATS, la procédure de passation mentionnée ci-dessus n’a pu faire naître aucune relation contractuelle ni recevoir aucun commencement d’exécution dès lors qu’il n’est pas sérieusement contesté que le marché n’a pas été signé avec les cabinets déclarés attributaires et que les affaires traitées par les candidats retenus leur avaient été confiées avant le lancement de la procédure de passation du marché en cause ; que, par suite, l’allégation du CABINET MPC AVOCATS selon laquelle la renonciation de la commune à conclure le marché ne présentait pas un caractère effectif doit être écartée ;

 Considérant que, compte tenu des aléas auxquels doivent s’attendre les candidats à l’attribution de marchés publics, le CABINET MPC AVOCATS n’a pas subi, du fait de cette renonciation, un préjudice anormal et spécial de nature à engager la responsabilité sans faute de la commune ; » (CAA Versailles, 5 janvier 2012, Cabinet MPC Avocats, req. n° 08VE02889)

Ou encore:

« Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que, dans sa séance en date du 6 novembre 2006, la commission permanente du conseil général du Var a déclaré le marché sans suite au motif qu’en considération de l’incertitude qui pesait sur la légalité, au regard des règles de déontologie de la profession d’avocat, de l’article 2.02 du règlement de consultation, le président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation avait déconseillé aux membres de l’ordre de participer à la consultation et qu’en conséquence la concurrence n’avait pas pu s’exercer de façon satisfaisante ; que l’irrégularité qui a entaché la procédure de consultation des entreprises a pu légalement conduire le département à mettre fin, pour un motif d’intérêt général, à l’appel d’offres organisé pour l’attribution du marché et à justifier la déclaration sans suite ; qu’ainsi, le requérant, dont la candidature n’a pas été retenue en conséquence de l’abandon régulier de procédure, ne peut prétendre à être indemnisé de la perte de chance qu’il aurait eue d’obtenir le marché, qui n’a pas été conclu ; qu’en revanche, en maintenant une procédure irrégulière jusqu’à la réception des offres, le département du Var a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; que, toutefois, le CABINET MPC AVOCATS, en proposant une offre pour l’attribution de ce marché alors qu’il connaissait l’irrégularité relevée, et en avait d’ailleurs alerté le département, a commis une imprudence de nature à exonérer totalement la responsabilité du département et ne saurait par suite obtenir le remboursement des frais qu’il a exposés pour présenter sa candidature ;

Considérant, en second lieu, que si le cabinet MPC AVOCATS demande réparation du préjudice causé par un prétendu défaut d’information de l’abandon de la procédure, cette omission, à la supposer fautive, n’est en tout état de cause pas à l’origine des préjudices invoqués, relatifs aux frais engagés pour la constitution du dossier de candidature ainsi que la perte de chance d’obtenir le marché ; » (CAA Marseille, 4 juin 2012, Cabinet MPC Avocats, req. n° 09MA04827).

Ainsi, si l’opérateur économique ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse n’a aucun droit acquis à la signature du contrat, il n’en demeure pas moins que la collectivité se doit d’être particulièrement vigilante dans la motivation de sa décision de ne pas donner suite à la procédure.

Jérôme MAUDET

Avocat

Droit de l’urbanisme : quid de l’indemnisation lorsqu’un terrain devient inconstructible ?

Nul ne dispose de droit acquis au maintien du classement de sa parcelle.

En principe, la modification du classement d’une parcelle n’est pas de nature à ouvrir une action indemnitaire en vertu du principe de non indemnisation des servitudes d’urbanisme.

L’article 160-5 du Code de l’urbanisme dispose en effet que :

« N’ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code en matière de voirie, d’hygiène et d’esthétique ou pour d’autres objets et concernant, notamment, l’utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l’interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies, la répartition des immeubles entre diverses zones.

Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ; cette indemnité, à défaut d’accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui doit tenir compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan d’occupation des sols rendu public ou du plan local d’urbanisme approuvé ou du document qui en tient lieu. »

Dès lors, ce n’est que s’il est porté atteinte aux droits acquis des propriétaires et à la modification de l’état antérieur des lieux que la responsabilité de la collectivité peut être recherchée.

L’atteinte aux droits acquis peut par exemple résulter de l’institution d’une servitude d’urbanisme faisant échec à la réalisation d’une opération qui doit se dérouler en plusieurs étapes.

Tel est notamment le cas de la remise en cause d’un projet de lotissement, postérieurement à la délivrance de la décision individuelle créatrice de droits qui autorise la division du terrain en vue de la cession des lots

La modification de l’état antérieur des lieux n’a jamais, à ma connaissance, pu fonder une indemnisation, car il a été jugé à maintes reprises que le fait de grever un terrain d’une servitude d’inconstructibilité n’est pas susceptible par lui-même de constituer un dommage dès lors que le terrain est maintenu dans son état actuel.

Naturellement, si le classement venait à s’avérer illégal en raison d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir, l’illégalité fautive de l’administration serait de nature à ouvrir une action indemnitaire au bénéfice du propriétaire.

Voir en ce sens :

« 11. Considérant que le changement de classement du lotissement de la  » Couturelle  » et de l’emplacement réservé du  » clairon  » a consisté à faire passer ces terrains d’une zone UCb, définie au règlement du plan local d’urbanisme comme une zone  » urbaine mixte de densité moyenne assurant la transition entre les quartiers centraux et les quartiers de plus faible densité avec une dominante d’habitats « , en une zone UBb, définie comme une zone  » urbaine mixte de densité élevée, affectée à l’habitat, pouvant comporter des commerce, des services, des bureaux, des activités artisanales et industrielles, des équipement publics, compatibles avec un environnement urbain  » ; que cette nouvelle zone correspond, comme en l’espèce, à un secteur proche du centre ville ; que ce changement répond à la volonté de la communauté urbaine d’augmenter la densité de l’habitat dans cet espace, tout en permettant la construction de logements sociaux ; que, dans ces conditions, cette modification du zonage et du coefficient associé n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

Sur le détournement de pouvoir :

Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en adoptant lamodificationdu plan local d’urbanisme en litige, qui vise notamment à permettre la construction de logements sociaux, la communauté urbaine aurait poursuivi à un but étranger à l’intérêt général ; que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ; » (CAA DOUAI, 7 janvier 2015, N° 13DA00249)

Jérôme MAUDET

Avocat au Barreau de Nantes

Droit des collectivités : modalités de retrait des actes obtenus par fraude

Une décision illégale obtenue par fraude, doit être retirée sans condition de délai.

Le retrait d’une telle décision impose toutefois à l’administration de motiver sa décision et de respecter la procédure contradictoire prévue par l’article 24 de la loi du 12avril 2000 désormais codifiée :

« Considérant que, quand bien même le permis de construire délivré à M. X a été obtenu par fraude et a ainsi perdu son caractère créateur de droit, ce qui permet son retrait à tout moment, cette circonstance ne dispense pas l’administration de motiver la décision qui en prononce le retrait et, par voie de conséquence, de respecter la procédure contradictoire imposée par les dispositions combinées de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs rapports avec les administrations ; qu’il est constant que ni M. X ni la SCI LE CLOS BLEU VISION n’ont été invités par le maire de la commune de Saint Paul à présenter leurs observations avant le retrait des autorisations dont ils étaient bénéficiaires ; qu’ainsi cette décision de retrait prise à la suite d’une procédure irrégulière est entachée d’illégalité et doit être annulée ; » (Cour administrative d’appel, BORDEAUX, Chambre 1, 2 Novembre 2006 – n° 04BX01608)

Jérôme MAUDET

Avocat

Collectivités : recours direct de la victime contre les entreprises en charge de travaux publics

Le recours dont dispose les tiers contre le maître d’ouvrage s’étend aux personnes privées qui ont réalisé les travaux publics, sans condition de délai sous réserve de la prescription quadriennale.

En d’autres termes, la victime peut agir soit contre l’entrepreneur, soit contre le maître de l’ouvrage, soit contre les deux solidairement sur les mêmes fondement à savoir la responsabilité sans faute ou pour faute présumée.

Les principes relatifs à la responsabilité des entrepreneurs à l’égard des victimes des dommages de travaux publics s’appliquent en cas de sous-traité.

La victime peut donc agir non seulement contre l’entrepreneur sous-traitant, qui a exécuté effectivement les travaux, mais également contre l’entrepreneur titulaire du marché.

Cette action n’est possible que si le fait dommageable est imputable à l’entrepreneur :

« Considérant qu’il résulte des rapports de l’expert désigné par les premiers juges, dont les conclusions reposent sur une étude de la nature et de la structure des sols ainsi que du régime des pluies, que les désordres apparus sur le chantier de M. Garnero ont eu pour cause, non comme le soutiennent les sociétés requérantes, des pluies exceptionnelles, mais les travaux entrepris, à une vingtaine de mètres en surplomb, pour la construction de l’autoroute A 8 ; que les tirs de mines, les injections de ciment après forages qui ont été effectués, ainsi que la pression même des piliers construits, ont profondément modifié le réseau des fissures du terrain, accru le phénomène de résurgence des eaux et provoqué des éboulements de terrain ; qu’ainsi il est établi que les désordres dont la société civile immobilière Majoma et M. Garnero ont demandé réparation ont pour cause les travaux de construction de l’autoroute ; que, dès lors, les sociétés Spad et Citra-France ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé sur ce point, le tribunal administratif de Nice a retenu leur responsabilité dans la survenance des désordres ; » (Conseil d’Etat, Sous-section 5, 5 Février 1990 – n° 46170)

Il n’est toutefois pas nécessaire que le fait dommageable ait pour cause une faute de l’entrepreneur.

L’entrepreneur ne peut pas, vis-à-vis de la victime, s’exonérer de sa responsabilité en établissant l’absence de faute de sa part, notamment la circonstance que les travaux ont été réalisés selon les règles de l’art.

Il peut seulement invoquer, à cette fin, soit la faute de la victime soit la force majeure

« 3. Considérant, d’une part, que, même en l’absence de faute, la collectivité maître de l’ouvrage ainsi que, le cas échéant, l’entrepreneur chargé des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l’exécution d’un travail public à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime ; » (CAA Douai, 15 oct. 2013, n° 12DA00831, Cne Pont-de-l’Arche : JurisData n° 2013-025720).

Charge éventuellement à l’entreprise mise en cause de solliciter la garantie du maître d’ouvrage si elle s’y estime fondée.

Jérôme MAUDET

Avocat

Droit public : Retrait d’un acte créateur de droit au profit de plusieurs bénéficiaires

Le retrait d’une décision créatrice de droit ne peut intervenir qu’après observation d’une procédure contradictoire permettant à son bénéficiaire de présenter des observations sur la mesure de retrait envisagée.

L’article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations  désormais codifié à l’article 121-1 du Code des relations entre le public et l’administration prévoit en effet que :

« Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. »

Par un arrêt du 30 décembre 2015, le Conseil d’Etat a considéré, à propos d’un permis de construire qu’il s’agit d’une garantie fondamentale dont le nom respect emporte la nullité de la décision de retrait :

« le respect du caractère contradictoire de la procédure prévue par les dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 constitue une garantie pour le titulaire du permis que l’autorité administrative entend rapporter » et juge en conséquence « qu’eu égard à la nature et aux effets d’un tel retrait, le délai de trois mois prévu par l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme oblige l’autorité administrative à mettre en œuvre cette décision de manière à éviter que le bénéficiaire du permis ne soit privé de cette garantie ».

Cette obligation est toutefois écartée dans le cas où il est statué sur une demande, en cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles, lorsque le respect de cette procédure serait de nature à compromettre l’ordre public ou la conduite des relations internationales ou enfin lorsque des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière. L’autorité administrative n’est en outre pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique.

Encore faut-il que l’ensemble des bénéficiaires soient informés de la décision ou aient formé une demande de retrait.

Voir en ce sens :

«  Considérant que la délibération du 20 mars 2009  » approuve les conditions des ventes du lot E1 au profit des acquéreurs cités ci-dessus [ M. B… et Mme E… -C… agissant pour le compte de la SCA MetB ] ou de toute personne physique ou morale qu’il leur plaira de substituer  » ; que cette délibération ne pouvait être analysée comme créatrice de droits qu’au seul profit de la SCA MetB alors en cours de constitution ; qu’en outre, elle ne comportait aucune condition suspensive relative au délai dans lequel la société devait être constituée ; que le courrier présenté le 18 mai 2009 par M. B… à titre individuel demandant l’annulation du protocole d’accord et du permis de construire ne pouvait être regardé comme émanant du bénéficiaire de cette délibération, alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme E… -C… aurait renoncé à son bénéfice, ni que la constitution de la société SCA MetB aurait été rendue impossible ; que, dans ces conditions, et en l’absence d’une demande présentée dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles avait été souscrite la demande initiale, la commune ne pouvait légalement procéder au retrait de la délibération du 20 mars 2009 par la délibération en litige ; » (CAA NANTES, 29 novembre 2013, N°11NT02809)

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Ouverture d’un bureau secondaire à la ROCHE SUR YON

Droit pénal de l’urbanisme : que faire en cas de non respect d’un arrêté interruptif de travaux ?

Le fait de poursuivre des travaux malgré la notification d’un arrêté interruptif constitue une infraction au Code de l’urbanisme prévue et réprimée par l’article L.480-3 dudit Code lequel prévoit que :

« En cas de continuation des travaux nonobstant la décision judiciaire ou l’arrêté en ordonnant l’interruption, les personnes visées au deuxième alinéa de l’article L. 480-4 encourent une amende de 75 000 € et une peine de trois mois d’emprisonnement.

Ces peines sont également applicables en cas de continuation des travaux nonobstant la décision de la juridiction administrative prononçant la suspension ou le sursis à exécution de l’autorisation d’urbanisme. »

Sans attendre la décision de la juridiction éventuellement saisie le Maire a la possibilité, si ce n’est le devoir, de faire usage de ses pouvoirs de police pour mettre un terme à la poursuite des travaux.

L’article L.480-2 dispose en effet que :

« Le maire peut prendre toutes mesures de coercition nécessaires pour assurer l’application immédiate de la décision judiciaire ou de son arrêté, en procédant notamment à la saisie des matériaux approvisionnés ou du matériel de chantier.

La saisie et, s’il y a lieu, l’apposition des scellés sont effectuées par l’un des agents visés à l’article L. 480-1 du présent code qui dresse procès-verbal. » 

La pose de scellés peut être effectuée par le Maire ou l’un de ses adjoints ou par tout agent dûment habilité et commissionné à cet effet.

Afin de se constituer la preuve de la pose de scellés, il me semble qu’il est judicieux pour le Maire ou l’agent de se faire accompagner par un huissier lequel dispose d’ailleurs du matériel nécessaire.

Son constat devra ensuite être transmis au Procureur pour information.

Il appartiendra ensuite au destinataire de l’arrêté, s’il s’y estime fondé, de solliciter judiciairement la main levée de l’arrêté interruptif et la dépose des scellés.

L’article L.480-2 précité prévoit en effet que :

« L’autorité judiciaire peut à tout moment, d’office ou à la demande, soit du maire ou du fonctionnaire compétent, soit du bénéficiaire des travaux, se prononcer sur la mainlevée ou le maintien des mesures prises pour assurer l’interruption des travaux. »

S’il venait à procéder à la dépose des scellés sans décision de justice préalable, la commune n’aurait alors qu’à en référer au Procureur lequel ne manquera pas, à mon sens, d’engager l’action publique et de faire montre d’une grande sévérité à son égard.

Jérôme MAUDET

Avocat au barreau de NANTES

 

Droit pénal de l’urbanisme : qui est responsable en cas d’irrégularité d’un arrêté interruptif de Travaux ?

Seule la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être recherchée à raison de l’irrégularité d’un arrêté interruptif de travaux.

En effet, l’arrêté interruptif de travaux est un acte administratif s’inscrivant dans le cadre d’une procédure judiciaire durant laquelle le maire agit au nom de l’État :

« 3. Considérant que si le maire, agissant au nom de l’Etat en sa qualité d’auxiliaire de l’autorité judiciaire, peut, en vertu des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 480-2 du code de l’urbanisme, interrompre les travaux pour lesquels a été relevée, par procès-verbal dressé en application de l’article L. 480-1 du même code, une infraction mentionnée à l’article L. 480-4, résultant soit de l’exécution de travaux sans les autorisations prescrites par le livre IV du code de l’urbanisme, soit de la méconnaissance des autorisations délivrées, il ne peut légalement prendre un arrêté interruptif pour des travaux exécutés conformément aux autorisations d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision et ce même s’il estime que les travaux en cause méconnaissent les règles d’urbanisme et notamment le document local d’urbanisme ; » (CE, 26 juin 2013, n° 344331)

Jérôme MAUDET

Avocat

Collectivités : régime juridique des biens appartenant au domaine public

Les règles applicables en matière de domanialité publique se résument par deux mots : l’indisponibilité, et l’imprescriptibilité.

Ces deux notions sont reprises à l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui dispose que :

« Les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ».

La notion d’indisponibilité s’oppose à la libre disposition, par son propriétaire, d’un bien lui appartenant.

La destination à laquelle ce bien est affecté justifie son indisponibilité.

Tel est le cas pour le domaine public dont l’affectation à l’usage du public ou à un service public justifiera son indisponibilité. Autrement dit, dès lors qu’un bien aura fait l’objet d’aménagements indispensables à l’exercice d’un service public et aura été affectés directement à l’usage du public, il sera indisponible.

La Cour administrative d’appel de Nantes a ainsi jugé, à propos d’un jardin servant à des manifestations municipales, que :

« Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que la parcelle cadastrée B 261 qui jouxte l’Abbaye, utilisée au moment de son achat en 1925 comme jardin de l’école de filles de la commune, puis occupée par des agents d’EDF après le transfert de l’école en 1957, sert actuellement, et ce depuis plusieurs années, à des manifestations municipales et est ainsi affectée à l’usage direct du public ; que la seule attestation de l’ancien maire, qui se borne à soutenir que la partie de la parcelle B 261 restant à la disposition de la commune a toujours été exploitée comme jardin par les locataires des logements loués par cette dernière, ne remet pas sérieusement en cause l’affectation de ce terrain à l’usage du public ; que la circonstance qu’une portion de cette parcelle ne serait plus accessible au public à raison de la clôture posée irrégulièrement par M. D… en 1963 n’a pu avoir pour effet, en l’absence de déclassement, de faire sortir ce terrain, lequel forme un tout indivisible, du domaine public de la commune de Cormery ; que, par suite, la domanialité publique pleine et entière de la parcelle cadastrée B 261 doit être regardée comme établie »

L’une des principales conséquences de cette impossibilité de disposer librement du bien affecté à l’usage du public ou à un service public est l’inaliénabilité de ce bien.

Les personnes privées ne peuvent donc pas devenir propriétaires des dépendances du domaine public dès lors que ces dernières n’ont pas fait l’objet d’un acte de déclassement.

Cet acte de déclassement a pour effet de faire sortir le bien du domaine public et permet alors d’en disposer librement. A défaut, le bien ne peut pas être cédé.

La Cour administrative d’appel de Nancy a jugé en ce sens que :

« Considérant que s’il ressort des deux délibérations susmentionnées que le bien immobilier dont s’agit a été désaffecté, aucune décision expresse n’a constaté son déclassement ; que, par suite, ledit bien, qui appartenait au domaine public de la commune de Vandoeuvre-lès-Nancy, ne pouvait être cédé à la société SOCOGIM ; que, dès lors, la décision implicite par laquelle le nouveau maire de la commune de Vandoeuvre-lès-Nancy a refusé de signer l’acte authentique de vente dudit bien immobilier n’est pas fautive et n’est pas ainsi de nature à engager la responsabilité de la commune de Vandoeuvre-lès-Nancy » (C.A.A. Nancy, 19 mai 2011, n°10NC01492).

L’impossibilité d’aliéner une dépendance du domaine public n’empêche cependant pas son utilisation par une personne privée.

Cette dernière peut donc exercer une activité mais cette occupation obéit à des règles strictes fixées aux articles L.2122-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques lequel dispose que :

« Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous ».

Outre ce caractère personnel et conformément à l’article L.2122-3 du code général de la propriété des personnes publiques, cette autorisation ne présente qu’un caractère précaire et révocable.

En ce sens, la juridiction administrative affirme, de jurisprudence constante que :

« Les autorisations d’occupation du domaine public sont délivrées à titre précaire et révocable et qu’il est ainsi toujours loisible à l’autorité chargée de la police du domaine de les retirer pour un motif d’intérêt général, sans que leur bénéficiaire ait un droit acquis à leur maintien ou à leur renouvellement, en vertu des dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques » (C.A.A. Marseille 11 janvier 2016, n°14MA01989).

Cela signifie donc que la personne publique peut, pour un motif tiré de l’intérêt général, mettre fin à cette autorisation ou ne pas la renouveler.

La Cour administrative d’appel de Marseille a appliqué cette règle à l’exploitant d’un restaurant sur le domaine public maritime :

« Considérant qu’il résulte des principes généraux de la domanialité publique que les titulaires d’autorisation n’ont pas de droits acquis au renouvellement de leur titre ; qu’en effet, les autorisations d’occuper le domaine public sont accordées à titre précaire et révocables en vertu des règles de la domanialité publique et ne sont pas créatrices de droit au profit de leurs bénéficiaires qui n’ont droit ni à leur maintien ni à leur renouvellement » (C.A.A. Marseille, 3 octobre 2011, n°10MA00029).

Jérôme MAUDET

Avocat au Barreau de NANTES