Collectivités : Responsabilité du maire pour inexécution des décisions de justice
La commune de Bastia a été condamnée le 15 décembre 2006 à la réintégration d’un agent public et la reconstitution de sa carrière sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
La reconstitution des droits sociaux de l’agent n’est intervenue que le 6 novembre 2021 soit 15 ans plus tard.
Durant cette période, la collectivité a fait l’objet de nombreux jugements de liquidation d’astreintes et n’a jamais procédé au mandatement des sommes.
Par conséquent, le 31 mai 2023, la nouvelle chambre du contentieux de la Cour des comptes a infligé à l’ancien Maire d’Ajaccio une amende de 10 000 € en raison de l’inertie de la collectivité à exécuter des décisions de justice.
Pour rappel, la responsabilité des gestionnaires publics a fait l’objet d’une réforme récente.
Auparavant, la Cour de discipline budgétaire et financière était la juridiction compétente pour infliger une amende au maire pour l’inexécution des décisions de justice entraînant des conséquences pécuniaires pour la collectivité.
Le montant de l’amende était lié à l’indemnité de fonction de l’élu concerné. Pour autant, de très rares décisions sont intervenues dans ce cadre (CDBF 11 févr. 1998).
Depuis l’ordonnance no 2022-408 du 23 mars 2022, la juridiction en charge de la répression des infractions aux règles d’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens publics en première instance est la chambre du contentieux de la Cour des comptes.
A ce titre, les infractions sont prévues par le Code des juridictions financières notamment au 1° de l’article L.131-14 lequel dispose que :
« Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 est passible des sanctions prévues à la section 3 :
1° Lorsque ses agissements entraînent la condamnation d’une personne morale de droit public ou d’un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public à une astreinte en raison de l’inexécution totale ou partielle ou de l’exécution tardive d’une décision de justice » ;
Dans l’affaire en cause, la Cour des comptes souligne que la commune d’Ajaccio a fait l’objet de 11 décisions de condamnation.
Il s’agissait notamment d’astreintes prononcées par 5 jugements du tribunal administratif de Bastia pour un montant total de 186 600€, en raison de l’inexécution partielle d’un jugement de ce tribunal remontant à 2006 rendu en faveur d’un ancien agent de la ville.
La Cour a considéré que l’infraction mentionnée au 1° de l’article L.131-14 du Code des juridictions financières était constituée et imputable au Maire.
En effet, l’inertie de la commune dans l’exécution des décisions de justice a entraîné un préjudice financier important pour la collectivité, en l’occurrence 186 600 € d’astreinte.
Le 2° de l’article L.131-14 du Code des juridictions financières prévoit également que :
« Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 est passible des sanctions prévues à la section 3 :
2° En cas de manquement aux dispositions des I et II de l’article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public ».
L’article 1er de la loi n°80-539 du 16 juillet 1980 prévoit que lorsque l’Etat, une collectivité locale ou un établissement public a été condamné par une juridiction à payer une somme d’argent, la somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice.
A défaut de mandatement, le préfet ou l’autorité de tutelle procède au mandatement d’office.
En l’espèce, la juridiction a constaté que, par 6 jugements distincts, la commune d’Ajaccio a été condamnée au paiement de 11 sommes d’argent, à l’agent précité et à l’État, et contrainte de payer les intérêts légaux se rapportant à deux d’entre elles.
La Cour des comptes précise que 6 de ces condamnations pécuniaires dont le montant a été explicitement fixé par le jugement lui-même n’ont pas été mandatées dans le délai de 2 mois à compter de la notification de la décision de justice.
La juridiction a pu en déduire que ces faits sont passibles du 2° de l’article L. 131-14 du Code des juridictions financières et constituent à ce titre une infraction aux règles d’exécution des recettes et des dépenses.
S’agissant de l’imputation des responsabilités, la Cour des comptes énonce que :
« Les infractions constatées ne résultent pas d’un comportement fautif imputable à un ou des agents identifiables de la commune, mais la Cour ne limite pas la sanction aux agents ayant pris une part directe dans les irrégularités et recherche également la responsabilité de tout justiciable du fait des obligations attachées à ses fonctions, même s’il n’est pas démontré que celui-ci a activement participé à la commission des irrégularités.
86. M. Y a été élu maire d’Ajaccio le 5 avril 2014. Il est demeuré en fonctions jusqu’au 22 octobre 2014, date d’annulation des élections municipales, puis a été réélu le 8 février 2015. Il a occupé les fonctions de maire jusqu’au 9 juillet 2022. En sa qualité de représentant légal et d’ordonnateur de la commune, les infractions prévues à l’article L. 131-14 (2°), ancien L. 313-12 du CJF, qui se sont produites sous sa mandature, peuvent lui être imputées en application du 1° de l’article L. 131-4 du CJF en vigueur depuis le 1er janvier 2023, article qui reprend les dispositions définies antérieurement à cette date à l’article L. 312-2 du même code ».
Dans cette affaire, la défense a tenté d’atténuer sa responsabilité en faisant état de problèmes d’organisation des services de la commune d’Ajaccio, accentués par le contexte COVID en 2020 et 2021.
La défense invoquait également les délais d’obtention des coordonnées bancaires pour justifier le mandatement d’office.
La Cour des comptes a rejeté tous ces arguments en énonçant que :
« Il résulte de ce qui précède que, sans méconnaître les difficultés rencontrées, la responsabilité du paiement tardif des sommes visées est imputable à l’organisation des services communaux. En particulier, la méthode consistant à demander au préfet de la Corse-du-Sud les coordonnées bancaires de Mme X et à l’avocat de cette dernière celles de l’État n’était pas de nature à accélérer la procédure. Le manque de réactivité des bénéficiaires ne peut donc constituer une circonstance atténuante ».
En conséquence, la Cour des comptes a infligé une amende de 10 000 € à l’ancien Maire d’Ajaccio en raison de la gravité des faits, de leur caractère répété et l’importance du préjudice causé à la collectivité.
Les gestionnaires publics devront donc redoubler de vigilance dans l’exécution des décisions de justice au risque de voir leur responsabilité financière engagée devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes.
Maxence CASSARD
Elève Avocat EDAGO