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Médiation : le Conseil d’Etat précise les règles de confidentialité à respecter

 

Aux termes de l’article L. 213-1 du code de justice administrative :

 » La médiation régie par le présent chapitre s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction « .

L’article L. 213-2 du même code prévoit que :

 » (…) Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l’accord des parties.

Il est fait exception au deuxième alinéa dans les cas suivants : 

1° En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ;

2° Lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en oeuvre « .

Par un avis du 14 novembre 2023, le Conseil d’Etat est venu préciser dans quelle mesure les constatations et déclarations recueillies par un expert dans le cadre d’une médiation doivent rester confidentielles et ne pas fonder la décision de la juridiction saisie :

« 2. En vertu des dispositions de l’article L. 213-2 du code de justice administrative, ne doivent demeurer confidentielles, sauf accord contraire des parties et sous réserve des exceptions prévues par cet article, sans pouvoir être divulguées à des tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle, que les seules constatations du médiateur et déclarations des parties recueillies au cours de la médiation, c’est-à-dire les actes, documents ou déclarations, émanant du médiateur ou des parties, qui comportent des propositions, demandes ou prises de position formulées en vue de la résolution amiable du litige par la médiation.

3. En revanche, les dispositions de l’article L. 213-2 ne font pas obstacle à ce que soient invoqués ou produits devant le juge administratif d’autres documents, émanant notamment de tiers, alors même qu’ils auraient été établis ou produits dans le cadre de la médiation. Tel est en particulier le cas pour des documents procédant à des constatations factuelles ou à des analyses techniques établis par un tiers expert à la demande du médiateur ou à l’initiative des parties dans le cadre de la médiation, dans toute la mesure où ces documents ne font pas état des positions avancées par le médiateur ou les parties en vue de la résolution du litige dans le cadre de la médiation.

4. Les pièces devant demeurer confidentielles en vertu de l’article L. 213-2 du code de justice administrative ne peuvent être invoquées ou produites dans le cadre d’une instance devant le juge administratif qu’à la condition que les parties aient donné leur accord ou que leur utilisation relève d’une des exceptions prévues à cet article. A défaut, le juge ne saurait fonder son appréciation sur de telles pièces. En revanche, les autres pièces peuvent être invoquées ou produites devant le juge administratif et ce dernier peut les prendre en compte pour statuer sur le litige porté devant lui, dans le respect du caractère contradictoire de l’instruction.

5. Dans le cas particulier où le juge administratif ordonne avant dire droit une expertise et où l’expert, conformément à ce que prévoient les dispositions de l’article R. 621-1 du code de justice administrative, se voit confier une mission de médiation, doivent, de même, demeurer confidentiels les documents retraçant les propositions, demandes ou prises de position de l’expert ou des parties, formulées dans le cadre de la mission de médiation en vue de la résolution amiable du litige. Il appartient alors à l’expert, ainsi que le prévoit l’article R. 621-1, de remettre à la juridiction un rapport d’expertise ne faisant pas état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation. » (CE Avis, 14 novembre 2023, N° 475648)

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Médiation préalable obligatoire et contentieux indemnitaire dans la fonction publique territoriale : focus sur l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes en date du 23 octobre 2020

Médiation préalable obligatoire et contentieux indemnitaire dans la fonction publique territoriale (C.A.A. Nantes, 23 octobre 2020, n°20NT01262, classé C+)

 

1. Afin de favoriser le recours au modes alternatifs de règlement des différends, le IV de l’article 5 de la loi n°2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle en date du 18 novembre 2016 dispose que :

« IV.-A titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi, les recours contentieux formés par certains agents soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle et les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi peuvent faire l’objet d’une médiation préalable obligatoire, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat »

Initialement prévue pour une durée de quatre ans, l’expérimentation envisagée a été prolongée par l’article 34 de la loi n°2019-222 en date du 23 mars 2019 portant programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Dès lors, l’obligation de médiation préalable est expérimentée jusqu’au 31 décembre 2021 et les règles fixées par le décret n°2018-101 en date du 16 février 2018 mettant en œuvre cette expérimentation continuent de s’appliquer.

Son article 1er fixe notamment une liste de décisions dont la contestation devant une juridiction doit être impérativement précédée d’une tentative de médiation.

Parmi ces décisions, figurent les :

« 1° Décisions administratives individuelles défavorables relatives à l’un des éléments de rémunération mentionnés au premier alinéa de l’article 20 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée ;

2° Refus de détachement, de placement en disponibilité ou de congés non rémunérés prévus pour les agents contractuels aux articles 20, 22, 23 et 33-2 du décret du 17 janvier 1986 susvisé et 15, 17, 18 et 35-2 du décret du 15 février 1988 susvisé ;

3° Décisions administratives individuelles défavorables relatives à la réintégration à l’issue d’un détachement, d’un placement en disponibilité ou d’un congé parental ou relatives au réemploi d’un agent contractuel à l’issue d’un congé mentionné au 2° du présent article ;

4° Décisions administratives individuelles défavorables relatives au classement de l’agent à l’issue d’un avancement de grade ou d’un changement de corps obtenu par promotion interne ;

5° Décisions administratives individuelles défavorables relatives à la formation professionnelle tout au long de la vie ;

6° Décisions administratives individuelles défavorables relatives aux mesures appropriées prises par les employeurs publics à l’égard des travailleurs handicapés en application de l’article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée ;

7° Décisions administratives individuelles défavorables concernant l’aménagement des conditions de travail des fonctionnaires qui ne sont plus en mesure d’exercer leurs fonctions dans les conditions prévues par les articles 1er des décrets du 30 novembre 1984 et du 30 septembre 1985 susvisés »

 

Aux termes du 3° de cet article 1er, les agents de la fonction publique territoriale sont expressément visés :

« 3° Les agents de la fonction publique territoriale employés dans les collectivités territoriales et les établissements publics locaux situés dans un nombre limité de circonscriptions départementales, choisies en raison de la diversité des situations qu’elles présentent et dont la liste est fixée par un arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé des collectivités territoriales, et ayant conclu avant le 1er septembre 2018 avec le centre de gestion de la fonction publique territoriale dont ils relèvent une convention lui confiant la mission de médiation préalable obligatoire en cas de litige avec leurs agents ».

L’arrêté du 2 mars 2018 relatif à l’expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique territoriale est venu préciser les circonscriptions départementales concernées.

Parmi elles, figurent notamment les départements de la Loire-Atlantique, du Maine-et-Loire, de la Vendée, de la Manche, des Côtes-d’Armor, de l’Ille-et-Vilaine et du Finistère ; départements relevant du ressort territorial de la Cour administrative d’appel de Nantes.

Depuis le décret n°2020-516 du 5 mai 2020 modifiant le ressort des cours administratives d’appel, le tribunal administratif d’Orléans ne figure plus dans ce ressort.

2. C’est dans ce contexte que la Cour administrative d’appel de Nantes a été saisie, le 8 avril 2020, d’une requête visant à contester l’ordonnance du Président de la 1ère Chambre du Tribunal administratif d’Orléans en date du 11 février 2020.

Cette ordonnance rejetait comme irrecevable une demande de première instance sollicitant l’annulation de la décision implicite du maire de la commune de Savigny-en-Veron (Indre-et-Loire) portant rejet de sa demande de versement d’une somme d’un montant de 103 620,40 €, outre la condamnation de la commune à lui verser cette même somme en réparation des préjudices subis du fait de son accident de travail.

Le Président de la 1ère Chambre a en effet considéré que la demande présentée était irrecevable faute pour la requérante d’avoir fait précéder son recours contentieux d’une médiation préalable obligatoire.

3. La Cour administrative d’appel de Nantes a annulé l’ordonnance en litige au motif notamment que la liste dressée à l’article 1er du décret n°2018-101 en date du 16 février 2018 était exhaustive.

En ce sens :

« les recours contentieux formés par les agents publics concernés par l’expérimentation de la procédure de médiation préalable obligatoire qui doivent être précédés, à peine d’irrecevabilité, d’une médiation, sont ceux qui sont formés à l’encontre des décisions énumérées par ces dispositions, c’est-à-dire les recours qui tendent à l’annulation ou à la réformation de ces décisions et non ceux qui tendent à la condamnation d’une collectivité publique au paiement d’indemnités en réparation de préjudices » (C.A.A. Nantes, 23 octobre 2020, n°20NT01262).

Autrement dit, seuls les recours tendant à l’annulation ou à la réformation des décisions énumérés à l’article 1er du décret précité doivent être précédées d’une tentative de médiation.

Les demandes indemnitaires ne sont pas concernées.

En conséquence, prenant soin de distinguer une éventuelle décision défavorable concernant l’aménagement des conditions de travail d’un agent et une demande indemnitaire en réparation d’un préjudice, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que :

« Dès lors, contrairement à ce qu’a estimé le premier juge, le litige dont a été saisi le tribunal administratif d’Orléans, qui est un litige de nature indemnitaire, ne figurait pas au nombre des recours contentieux formés contre une décision défavorable concernant l’aménagement des conditions de travail des fonctionnaires qui ne sont plus en mesure d’exercer leurs fonctions » (C.A.A. Nantes, 23 octobre 2020, n°20NT01262).

Afin de procéder à un examen au fond, ce dossier a été renvoyé au tribunal administratif d’Orléans.

 

4. Il est toutefois à noter que l’absence d’une telle démarche de médiation préalable ne dispense pas l’agent public de solliciter de son administration qu’elle se prononce sur sa demande indemnitaire et ce, avant que le juge saisi ne statue sur sa demande.

 

Louis-Marie Le Rouzic

Avocat au Barreau de Nantes