Domanialité : évolution du trait de côte et limite du domaine public
Le 28 février 2010, à l’occasion de la tempête XYNTHIA, un mur de soutènement et une falaise surplombant la plage des Nouelles – Saint-Laurent à Plérin se sont effondrés.
Après un chemin de croix procédural opposant l’association exploitante du site et son assureur la Cour d’appel de Caen a posé à la juridiction administrative les questions préjudicielles suivantes :
» 1° dire si le mur effondré soutenant les terres appartenant à la société Altygo était incorporé au domaine public maritime à la date du 28 février 2010,
2° dire s’il l’a été par la suite et à quelle date,
3° dire si la falaise effondrée était incorporée au domaine public maritime à la date du 28 février 2010 et jusqu’à quel niveau,
4° dire si elle l’a été par la suite et à quelle date « .
Après avoir rappelé les termes de l’article L.2111-4 du Code général de la propriété des personnes publiques, par un arrêt du 13 juillet 2022, la Cour administrative d’appel de Nantes a répondu par la négative à l’ensemble des questions posées (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246).
Selon elle, ni le mur, ni la falaise ne sont, au jour de la lecture de l’arrêt, incorporés au domaine public.
Cet arrêt, qui s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence habituelle en ce qui concerne les limites du domaine public naturel, est l’occasion pour la Cour de préciser son acception du trait de côte et de son évolution.
Pour la Cour, au jour de la tempête, ni le mur, ni la falaise n’était incorporé au domaine public maritime :
« Sur le mur de soutien :
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- En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment des constatations opérées par l’expert nommé par la juridiction judiciaire, que le mur litigieux, dont une partie s’est effondrée le 28 février 2010, a été construit au début du XXème siècle, probablement entre 1910 et 1921 à hauteur moindre que celle qu’il avait lors de son effondrement en février 2010. Ce mur a ensuite fait l’objet d’un rehaussement. Il résulte d’une photographie figurant dans les archives départementales, non datée mais dont il est admis qu’elle représente la situation en 1910, que le mur initial déjà présent était séparé de la plage par quelques arbres, cette surface boisée ne devant dès lors pas être recouverte à l’époque par les plus hautes mers. Il résulte également de l’instruction qu’en février 2010 comme aujourd’hui, le mur soutenant le terrain d’assiette du centre hélio-marin ne jouxte pas directement la plage des Nouelles mais en est séparé par une » banquette » en béton, implantée plus profondément que le mur dans le sous-sol. Le mur appartenant à l’association Altygo et cette banquette donnant sur la plage constituent deux ouvrages distincts. Il ne résulte pas de l’instruction que les plus hautes mers, en dehors de perturbations météorologiques exceptionnelles comme celle de la tempête » Xynthia » intervenue en février 2010, dépassaient cette banquette située à l’avant du mur litigieux. Par ailleurs, il résulte de l’instruction, notamment de la cartographie du trait de côte Histolitt, produite à l’appui de ses écritures par l’association Altygo et librement consultable sur le site internet du gouvernement » geoportail « , que ce trait de côte, qui matérialise en l’état des connaissances la laisse des plus hautes mers dans le cas d’une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales, se situe en devant du mur litigieux et ne l’inclut aucunement. Dès lors, il ne résulte pas de l’instruction que la parcelle sur laquelle est implantée le mur litigieux était recouverte, en février 2010, par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni n’en avait été artificiellement soustraite. Il suit de là qu’en février 2010, date du sinistre en cause, le mur de soutien du terrain d’emprise du centre hélio-marin n’était pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime. (…)
Sur la falaise :
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- En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment des constatations opérées par l’expert nommé par le juge judiciaire, que la partie de la falaise au nord du terrain de l’association Altygo, qui s’est effondrée en février 2010, était située à une dizaine de mètres au-dessus de la plage et en outre à l’arrière d’un ouvrage en plan incliné servant de digue. Il ne résulte dès lors pas de l’instruction, alors surtout que le domaine public maritime naturel ne comprend que le sol et le sous-sol recouvert par les plus hautes mers et non le surplomb de ceux-ci, qu’en février 2010 la falaise en cause aurait été recouverte par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni ne pouvait être regardée comme un lais ou relais de la mer. Dans ces conditions, à la date du sinistre, la falaise éboulée à proximité des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relevait pas du domaine public maritime.» (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246)
Pour les juges nantais, aujourd’hui, la situation demeure inchangée nonobstant le fait qu’à l’occasion de conditions météorologiques exceptionnelles la mer atteint parfois la falaise et le mur :
« Sur le mur de soutien : (…)
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- En second lieu, la seule circonstance, établie par une photographie accompagnant un constat d’huissier d’octobre 2021, que le flot de la marée haute atteint le bord de la banquette située en contrebas du mur litigieux et que des vagues peuvent atteindre le bas du mur sous l’effet du vent ne permet pas d’établir qu’à la date de lecture de l’arrêt, la ligne des plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ait reculé jusqu’au mur en cause. Il suit de là qu’à la date de lecture de l’arrêt, le mur de soutien du terrain d’emprise du centre hélio-marin n’est pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime.
Sur la falaise : (…)
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- En second lieu, alors même que la falaise en cause est séparée de la plage par un ouvrage en plan incliné et que l’éboulement a pu avoir pour effet de reculer la falaise par rapport au trait de côte, il ne résulte aucunement de l’instruction qu’à la date de mise à disposition du présent arrêt, une partie de la falaise soit recouverte par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles. Il suit de là qu’à la date de prononcé de l’arrêt, la falaise au nord de la plage des Nouelles au niveau des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relève pas du domaine public maritime.» (CAA NANTES, 13/07/2022, 22NT01246)
En résumé, les perturbations météorologiques exceptionnelles n’influent pas juridiquement sur l’emplacement du trait de côte.
Jérôme MAUDET
Avocat associé