Collectivités : Fraude au virement et théorie de l’apparence
La théorie de l’apparence est un principe juridique qui permet de protéger les tiers de bonne foi qui ont contracté avec une personne se présentant comme titulaire d’un droit ou d’un pouvoir, alors qu’elle ne l’est pas en réalité.
Cette théorie trouve son fondement dans la nécessité de protéger la sécurité juridique et la confiance légitime des tiers.
La Cour de cassation a notamment estimé que « le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime » ().
L’article 1342-3 du code civil relatives au créancier apparent dispose d’ailleurs que :
» Le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable. »
Pour le Conseil d’Etat, dans le cadre de l’exécution d’un contrat public, la personne publique victime d’une fraude ne peut pas se retrancher derrière cette théorie pour échapper à ses obligations contractuelles.
« 4. En deuxième lieu, il appartient à une personne publique de procéder au paiement des sommes dues en exécution d’un contrat administratif en application des stipulations contractuelles, ce qui implique, le cas échéant, dans le cas d’une fraude tenant à l’usurpation de l’identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces derniers soient renouvelés entre les mains du véritable créancier. La personne publique ne peut ainsi utilement se prévaloir, pour contester le droit à paiement de son cocontractant sur un fondement contractuel, ni des dispositions de l’article 1342-3 du code civil relatives au créancier apparent, qui ne sont pas applicables aux contrats administratifs, ni des manquements qu’aurait commis son cocontractant en communiquant des informations ayant rendu possible la manoeuvre frauduleuse. En revanche, la personne publique, si elle s’y croit fondée, peut rechercher, outre la responsabilité de l’auteur de la fraude, celle de son cocontractant, en raison des fautes que celui-ci aurait commises en contribuant à la commission de la fraude, afin d’être indemnisée de tout ou partie du préjudice qu’elle a subi en versant les sommes litigieuses à une autre personne que son créancier. Le juge peut, s’il est saisi de telles conclusions par la personne publique, procéder à la compensation partielle ou totale des créances respectives de celles-ci et de son cocontractant.
5. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent, d’une part, que la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit en ne recherchant pas si, en l’espèce, le Grand port maritime de Bordeaux avait procédé, de bonne foi, aux paiements litigieux à un créancier apparent au sens de l’article 1342-3 du code civil. Il en résulte d’autre part, que le Grand port maritime de Bordeaux ne peut utilement faire valoir, s’agissant de son obligation de payer les sommes qu’il doit au titre du contrat, que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier en refusant de prendre en compte la circonstance que la personne qui a perçu indûment les paiements destinés à cette société revêtait toutes les apparences de celle-ci.
6. En dernier lieu, le Grand port maritime de Bordeaux ne conteste pas l’existence de la créance contractuelle de la société Liebherr distribution et services France, venant aux droits de la société Liebherr grues à tour, à son encontre. Dès lors que le Grand port maritime de Bordeaux n’a pas été libéré de son obligation de paiement en versant les sommes dues à l’auteur de l’escroquerie dont il a été victime, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il n’était pas fondé à invoquer le principe suivant lequel une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu’elle ne doit pas. » (CE, 21 octobre 2024, n°487929)
Il appartient donc à la personne publique, si elle s’y estime fondée de rechercher la responsabilité de l’auteur de la fraude ou celle de son contractant pour obtenir une éventuelle compensation.
« 3. Il appartient à une personne publique de procéder au paiement des sommes dues en exécution d’un contrat public en application des stipulations contractuelles, ce qui implique, le cas échéant, dans le cas d’une fraude résidant dans l’usurpation de l’identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces paiements soient renouvelés entre les mains du véritable créancier. L’OPH ne saurait donc utilement se prévaloir, pour contester le droit à paiement de son cocontractant sur un fondement contractuel, des manquements qu’aurait commis ce dernier. Cette circonstance ne fait toutefois pas obstacle à que la personne publique, si elle s’y croit fondée, recherche, outre la responsabilité de l’escroc, celle de son cocontractant, en raison des fautes qu’il aurait commises en contribuant à permettre l’infraction, afin d’être indemnisée de tout ou partie du préjudice qu’elle a subi en versant les sommes litigieuses dans d’autres mains. » (CAA de NANCY, , 13/11/2023, 23NC02825)
Jérôme MAUDET
Avocat associé