Le droit de se taire s’applique-t-il aux enquêtes administratives ? Oui et non…

L’obligation de signifier à un agent public visé par une procédure disciplinaire le droit qu’il a de se taire afin de ne pas s’incriminer est établi par la jurisprudence. Si cette obligation s’impose lors de l’engagement d’une procédure disciplinaire, qu’en est-il au stade de l’enquête administrative et de l’audition de l’agent à l’endroit duquel cette enquête est menée?

Pour rappel, l’enquête administrative et les témoignages reçus à cette occasion participent des moyens dont l’administration dispose pour établir l’existence de faits fautifs justifiant le prononcé d’une sanction disciplinaire.

Aussi, bien qu’elle ne constitue pas en soi une étape de la procédure disciplinaire, il est incontestable qu’elle participe au processus de décision de sanction. Dès lors, faut-il notifier à l’agent visé par la procédure d’enquête – et éventuellement visé prochainement par une procédure disciplinaire – du droit qu’il a de se taire ?

Dans son arrêt en date du 8 juillet 2025, la cour administrative d’appel de NANTES rappelle le principe selon lequel le droit de se taire est réservé à la procédure disciplinaire stricto sensu et ne concerne pas l’enquête administrative. Aussi, lorsque la décision de sanction repose sur le contenu de l’enquête, et quand bien même l’agent visé par la procédure disciplinaire, n’a pas été informé du droit de se taire à ce stade, il n’est pas fondé à soutenir que la décision de sanction contestée aurait été prise à l’issue d’une procédure illégale.

Cependant, une nuance important mérite d’être remarquée.

Lorsque l’agent fait déjà l’objet d’une procédure disciplinaire (au démarrage de laquelle le droit de se taire doit lui être rappelé) et qu’une enquête administrative est, par la suite, diligentée, il incombe aux enquêteurs de l’informer du droit de se taire; sauf à fragiliser la décision de sanction.

C’est ainsi que la Cour administrative d’appel de NANTES rappelle que :

« 4. De telles exigences impliquent que l’agent public faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d’être entendu pour la première fois, qu’il dispose de ce droit pour l’ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l’autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d’une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l’informer du droit qu’il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent » (C.A.A. Nantes, 8 juillet 2025, n°24NT03310).

En l’espèce, l’agent visé par la décision de sanction n’avait été informé du droit de se taire ni au stade de l’enquête administrative ni à celui de la procédure disciplinaire.

La décision de sanction reposant de manière déterminante sur le contenu de l’enquête (et non sur les déclarations de l’agent recueillies au mépris du droit de se taire), la Cour a considéré que l’agent n’était pas fondé à soutenir que le vice de procédure relevé entachait d’illégalité la décision contestée :

« 6. Il n’est pas contesté que la commune d’Angers n’a pas informé Mme C du droit de se taire lorsqu’elle a engagé la procédure disciplinaire à son encontre. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la décision contestée du 26 mars 2020 est fondée de manière déterminante sur des constats opérés par la hiérarchie de Mme C mettant en cause le comportement de l’intéressée, révélé par une enquête administrative diligentée par la commune au cours de laquelle vingt témoignages d’agents ayant exercé leurs fonctions sous l’autorité hiérarchique de Mme C ont été recueillis et sur les résultats d’une « alerte risque psychosocial » lancée à la suite d’un signalement auprès du médecin de prévention, mettant en évidence le nombre anormal de jours d’arrêt maladie pris par de nombreux cadres intermédiaires placés sous la responsabilité de l’intéressée depuis le mois de janvier 2019. Il ne ressort pas d’autres pièces du dossier que la sanction infligée reposerait sur les propos que Mme C aurait tenu lors de la procédure disciplinaire. Dans ces conditions, Mme C, à qui il est loisible de mettre en cause la réalité de chacun des manquements retenus contre elle et qui n’a pas été privée d’une garantie, n’est pas fondée à soutenir que le vice de procédure relevé entache d’illégalité la décision contestée du 26 mars 2020« .

Me Louis-Marie Le Rouzic

Avocat associé