Aménagement commercial : Le Conseil Constitutionnel valide l’étude d’impact issue des dispositions de l’article L 752-6 du Code de commerce de la loi ELAN

 

1. Rappel des dispositions issues de la loi ELAN

Pour lutter contre la dévitalisation commerciale de certains territoires, la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN, a modifié la législation sur l’urbanisme commercial par une diversité de mesures visant :

  • à redynamiser et préserver les centres-villes par l’instauration des Opérations de Revitalisations de Territoire (ORT)[1]
  • à réintroduire une approche économique de l’impact des projets tant notamment dans l’obligation de produire pour chaque demande d’autorisation d’exploitation commerciale une étude d’impact que dans la modification de la composition des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) ;
  • à renforcer les outils de contrôle en matière d’aménagement commercial en instaurant, d’une part, un contrôle a posteriori du respect de l’autorisation délivrée et, d’autre part, en accroissant les prérogatives du préfet dans les obligations de démantèlement des exploitations désaffectées.

Ainsi, trois nouveaux critères ont été ajoutés, sous l’article L752-6 du code de commerce, pour les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale déposées à compter du 1er janvier 2019 :

  • En matière d’aménagement du territoire :
    • La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes, et de l’EPCI dont la commune est membre [L752-6 I 1°e]
    • Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière d’infrastructures et de transports, [L752-6 I 1° f]
  • En matière de développement durable :
    • le bilan des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu au 1° et 2° du I de l’article L229-25 du code de l’environnement (lequel concerne les entreprises de plus de 500 salariés) [L752-6 I 2° a]

Parmi, ces nouveautés, le législateur a également imposé la complétude du dossier de la demande par la production d’une étude d’impact :

  • réalisée par un organisme indépendant habilité par le représentant de l’Etat dans le département. ( cf. arrêté du 19 juin 2019)
  • devant évaluer « les effets du projet sur l’animation et le développement économique du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’EPCI dont la commune d’implantation est membre, ainsi que sur l’emploi, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. »
  • et démontrant que le projet ne peut s’implanter sur une friche existante en centre-ville ou en périphérie .[L752-6 III]

 

2. Le Décret n°2019-331 du 17 Avril 2019 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales d’aménagement commercial et aux demandes d’autorisation d’exploitation commerciale

Ce décret a précisé le contenu de cette étude d’impact ainsi que son entrée en vigueur, à savoir aux demandes d’autorisation d’exploitation commerciale déposées à compter du 1er janvier 2020.

L’étude d’impact doit ainsi comporter les informations suivantes :

  • Informations relatives à la zone de chalandise et à l’environnement proche du projet (délimitation de la zone de chalandise, ses caractéristiques) (déjà présent dans les dossiers)
  • Localisation, en centre-ville, comme en périphérie, des friches (= toute parcelle inexploitée et en partie imperméabilisée)
  • « Présentation de la contribution du projet à l’animation des principaux secteurs existants, notamment en matière de complémentarité des fonctions urbaines et d’équilibre territorial, en particulier la contribution, y compris en termes d’emploi, du projet à l’animation, la préservation ou la revitalisation du tissu commercial des centres-villes de la commune d’implantation & des communes limitrophes incluses dans la zone de chalandise définie pour le projet »
  • Mention des subventions, mesures et dispositifs de toutes natures mis en place sur les territoires de ces communes en faveur du développement économique (FISAC)
  • Indication sur les ORT et les secteurs d’intervention
  • Présentation des effets du projet en matière de protection des consommateurs (variété, diversification et de complémentarité de l’offre proposée par le projet avec l’offre existante)

Elle doit également préciser, pour chaque information, ses sources, sauf carence justifiée, et, pour chaque calcul, sa méthode.

3- Sur le recours formé par le Conseil National des Centres Commerciaux

Le Conseil National des Centres Commerciaux (ci-après CNCC) a formé une requête pour excès de pouvoir à l’encontre du décret précité et sollicité du Conseil d’Etat, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du e) du 1° du I, III et IV de l’article L. 752-6 du Code de commerce.

Faisant droit à cette demande, le Conseil d’Etat avait saisi en date du 13 décembre 2019 (2), le Conseil Constitutionnel de la question de la conformité de ces nouvelles dispositions issues de la loi ELAN au texte constitutionnel.

Pour le CNCC, ces dispositions portaient atteinte à la liberté d’entreprendre, telle qu’elle est garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dès lors que le nouveau dispositif législatif subordonne la délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale à la prise la prise en considération de la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale concerné, laquelle est appréciée par la commission départementale d’aménagement commercial au vu d’une étude d’impact évaluant les effets du projet sur l’animation et le développement économique des centres-villes de ce territoire et sur l’emploi. Cette même étude d’impact devant, en outre, établir qu’aucune friche existante en centre-ville, ou à défaut, en périphérie, ne permet l’accueil du projet.

Le CNCC estimait qu’aucun motif d’intérêt général ne permettait de justifier ces dispositions, lesquelles ne poursuivaient pas un objectif d’aménagement du territoire mais un objectif purement économique de protection du commerce des centres-villes, en limitant, plus que nécessaire, les possibilités d’implantation des grandes surfaces commerciales en périphérie des centres-villes.

Il était également soutenu que les nouvelles dispositions portaient une atteinte disproportionnée à cette même liberté d’entreprendre dès lors que le territoire sur lequel les effets du projet doivent être appréciés serait trop large et que les critères retenus avantageaient les opérateurs économiques déjà présents sur zone au détriment des nouveaux entrants.

 

4. La décision n °2019-830 du Conseil Constitutionnel du 12 mars 2020

Par sa décision précitée, le Conseil Constitutionnel a tranché en faveur de la constitutionnalité de ces nouvelles dispositions (3).

Après avoir rappelé qu’il est toujours loisible d’apporter à la liberté d’entreprendre « des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi » (considérant 5), le juge constitutionnel estime que les dispositions contestées du e) du paragraphe I ne constituent qu’un critère d’appréciation supplémentaire dans l’appréciation globale des effets d’un projet sur l’aménagement du territoire, et notamment sur le rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville (considérant 10) et qu’elles ne subordonnent pas la délivrance de l’autorisation d’exploitation commerciale à la démonstration de l’absence de toute incidence négative du projet sur le tissu commercial des centres-villes.

En prévoyant également que l’analyse d’impact, visée au paragraphe III, de l’article L. 752-6 précité, puisse s’appuyer notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux existants dans la zone de chalandise pertinente, le législateur n’a fait, pour le Conseil, qu’expliciter l’utilité de cet outil pour faciliter l’appréciation par les commissions d’aménagement commercial des effets d’un projet sur l’animation et le développement économique des centres-villes et de l’emploi, sans avoir ici introduit de nouveaux critères d’évaluation des projets (considérant 12).

S’agissant plus particulièrement de la problématique des friches, le Conseil Constitutionnel valide la rédaction du paragraphe IV de l’article L 752-6 et juge, là encore, que les dispositions instituées n’ont pas pour effet d’interdire toute délivrance d’une autorisation au motif de la seule existence d’une friche.

 

5.Un contentieux à suivre …

La décision du Conseil Constitutionnel ne lève toutefois pas tous les questionnements relativement à la légalité des autres novations introduites par la loi ELAN en matière d’aménagement commercial et ce d’autant que les effets de certains outils se font déjà sentir sur les acteurs du secteur.

L’instauration d’un moratoire des demandes d’autorisation d’exploitation commerciale en périphérie des opérations de revitalisation des territoires (ORT), moratoire qui pourra être prononcé par un arrêté préfectoral, pour une durée de trois ans, renouvelable un an (article L. 752-1-2 du Code de commerce) (mécanisme déjà mis en œuvre dans l’Allier) et le contrôle a posteriori du respect de l’autorisation d’exploitation commerciale, matérialisé par un certificat de conformité (article L. 753-23 du Code de commerce) font, ainsi qu’indiqué précédemment, parti de ces nouveaux outils qui sont également contestés devant le Conseil d’Etat.

La position du juge administratif, à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel, devrait prochainement suivre.

Bataille judiciaire a également été lancée devant les instances communautaires pour tenter d’obtenir un fléchissement des nouvelles dispositions en matière d’aménagement commercial avec l’introduction d’un recours en manquement initié par le même CNCC et des premières discussions avec la Commission Européenne qui laissent espérer aux acteurs économiques une saisine possible de la CJUE.

Céline CAMUS- Avocate associée  Maudet-Camus

Gaëlle PAULIC – Avocate Maudet-Camus

 

 

[1] ceci dans le prolongement notamment du rapport conjoint du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) et de l’Inspection Générale des Finances (IGF) sur la « revitalisation commerciale des centres-villes », publié en juillet 2016, du Plan Action Cœur de ville annoncé le 15 décembre 2017 par le Ministre de la Cohésion sociale et la publication le 26 mars 2018 des 222 villes sélectionnées en vue de la conclusion des conventions dites « Actions Cœur de Ville ».