Non-désignation de conducteur : La position sibylline de la Cour de cassation (C. Cass., Crim., 11 décembre 2018, n°18-81320)

Introduit par l’article 34 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, l’article L. 121-6 du code de la route dispose que :

« Lorsqu’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure.

 Le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ».

De l’aveu même des rapporteurs du projet de loi, cet article participe à l’amélioration de « la répression de certaines infractions routières en mettant en œuvre les mesure de lutte contre l’insécurité routière »[1].

Pour cela, cet article L. 121-6 du code de la route prévoit « l’obligation de communiquer l’identité de la personne physique qui conduisait au moment des faits, afin d’éviter son impunité, notamment en matière de perte de points »[2].

En pratique et depuis l’entrée en vigueur de ce texte au 1er janvier 2017, le représentant légal de la personne morale propriétaire d’un véhicule ayant servi à la commission d’une infraction (excès de vitesse, franchissement d’un feu rouge par exemple) était destinataire de l’avis de contravention correspondant.

Compte-tenu du manque de clarté des multiples informations mentionnées sur cet avis de contravention initial ou devant l’impossibilité de déterminer en pratique le conducteur au moment des faits, le représentant légal adressait le paiement de l’amende sans procéder à une quelconque désignation.

Passé le délai de 45 jours pour procéder à la désignation, l’infraction prévue par l’article L. 121‑6 du code de la route était alors constituée.

Les premiers avis de contravention pour non-désignation de conducteur pouvaient donc être envoyés par les autorités de poursuite.

Or, de façon parfaitement surprenante, ces avis étaient adressés à la personne morale, propriétaire du véhicule, et non à son représentant légal pourtant visé directement par la lettre de l’article L. 121-6 du code de la route et seul débiteur de l’obligation de désignation.

Dans un premier temps, cette erreur de destinataire a permis de solliciter utilement auprès de l’officier du Ministère public compétent le classement sans suite du dossier et ce, au moyen de la requête en exonération annexée à l’avis de contravention envoyée dans le délai de 45 jours.

Puis dans un deuxième temps, devant les refus successifs des Officiers du Ministère Public de classer ces dossiers, les juridictions de proximité puis les tribunaux de police ont eu l’occasion de se prononcer sur la nullité de ces avis de contraventions.

Si celles-ci constataient logiquement la nullité de la procédure, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, se prononçant pour la première fois sur cette question, a pris le revers de la jurisprudence établie depuis deux ans par les juridictions de premier degré.

Aux termes d’une motivation sibylline et en dépit de la lettre de l’article L. 121-6 du Code de la route faisant du représentant légal le seul débiteur de l’obligation de désignation du conducteur, la Cour de cassation a jugé que :

« Attendu qu’il résulte du jugement attaqué et des pièces de procédure que le véhicule immatriculé […] au nom de la Z… Avocat, « flashé » en excès de vitesse le 12 février 2017, a fait l’objet d’un avis de contravention du 15 février suivant ; qu’à défaut de réception d’un courrier faisant connaître l’identité et l’adresse du conducteur du véhicule lors des faits, un nouvel avis de contravention a été dressé à l’encontre de la Z… Avocat le 17 juin 2017 pour non désignation du conducteur du véhicule ; que M. X… ayant contesté cette dernière infraction, il a été cité, en qualité de représentant légal de la Z… Avocat, devant le tribunal de police pour y répondre de l’infraction prévue par l’article L.121-6 du code de la route ;

 Attendu que, pour relaxer l’intéressé, le jugement énonce qu’aucun procès-verbal n’est établi à l’appui de cette citation et que l’article L. 121-6 du code de la route précise qu’il appartient au représentant légal de la personne morale, et non à la personne morale elle-même, de désigner l’identité et l’adresse de la personne physique conduisant le véhicule lors des faits ;

 Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, le tribunal n’a pas justifié sa décision ;

 Que d’une part, figure au dossier l’avis de contravention pour non désignation du conducteur du 17 juin 2017 faisant référence à l’infraction initiale d’excès de vitesse du 12 février précédent ;

 Que, d’autre part, le juge devait se borner à vérifier que le prévenu, informé de l’obligation à lui faite de désigner le conducteur du véhicule dans les 45 jours de l’envoi de l’avis de la contravention d’excès de vitesse, avait satisfait à cette prescription, de sorte qu’il n’importait que l’avis de contravention pour non désignation du conducteur ait été libellé au nom de la personne morale ;

 D’où il suit que la cassation est encourue ;

 Par ces motifs :

 CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de police de Paris, en date du 16 janvier 2018, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi »[3].

En l’état de la motivation retenue par la Cour de cassation, ce raisonnement apparaît contraire à la fois au texte de l’article L. 121-6 du Code de la route et à celui de l’article 111-4 du code pénal aux termes duquel « la loi pénale est d’interprétation stricte ».

La combinaison de ces dispositions aurait dû conduire la chambre criminelle a confirmé le jugement rendu par le tribunal de police de Paris en ce que l’infraction de non transmission de l’identité du conducteur a été reprochée à la société personne morale et non à son représentant légal, seul débiteur de l’obligation de désignation.

Cependant, au lieu de statuer en ce sens, la Cour de cassation a décidé, de façon étonnante, de confondre l’infraction initiale et l’infraction de non-désignation, pourtant poursuivies sur deux fondements juridiques différents.

Autrement dit, aux yeux de la Cour de cassation, et de manière étonnante, il importe peu que les poursuites pour non désignation de conducteur soient engagées à l’égard d’une personne morale qui n’est pas redevable de l’obligation de désignation dès lors que son représentant légal avait été correctement informé de l’obligation de désigner dans les 45 jours suivant la réception de l’avis de contravention initial.

Si cet arrêt ne manquera pas de servir de fondement aux réquisitions du ministère public pour se justifier des nullités invoquées, la motivation ainsi retenue devra sans nul doute être précisée pour justifier qu’une personne morale soit poursuivie pour une infraction qu’elle ne peut pas avoir commise.

 

Louis-Marie Le Rouzic

Avocat au Barreau de Nantes

 

 

[1] Clément (J.M.), Le Bouillonnec (J.Y.), Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, en nouvelle lecture, sur le projet de loi (n° 3872), modifié par l’Assemblée Nationale en première lecture, de modernisation de la justice du XXIème siècle.

[2] Ibid.

[3] C. Cass., Crim., 11 décembre 2018, n°18-81320.